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Le cinéaste Grec, Yórgos Lánthimos, l'une de mes plus grandes inspirations, joueur, provocateur, hors normes, viscéral, burlesque, trash, grotesque et distopique, signe avec The Favourite son septième film, sixième où il est le seul aux commandes. Alors qu'il était désormais habitué à écrire lui-même ses scénarios, ce depuis le choc Canine, le voilà aux mains d'une commande vieille de plusieurs décennies.
The Favourite, avec un "u", parce que c'est Anglais, les ricains l'ont mangé, remonte en effet aux travaux de Deborah Davis. Première à se lancer dans le scénario du futur film, après avoir étudié des correspondances entre la reine Anne et Lady Sarah Churchill, ainsi que celles d’Abigail Masham et Robert Harley.
Ayant trouvé les producteurs au fil du temps, il ne manquait plus que le faiseur, léger comme mot j'en conviens, surtout quand on découvre le travail final. Tony McNamara, scénariste, est ensuite convié à récrire le scénario avec Lánthimos comme accompagnateur.
Il est rare que les films se déroulant à ce genre d'époque, je brasse large, mais tout ce qui est Roi, Reines et autres gens en perruques, me fascinent. Il y'a des bons films, c'est évident, mais au point d'en être renversant et marquant, peu, à mes yeux.
Seuls deux noms me viennent clairement en tête, un certains Miloš Forman avec son magnifique Amadeus, ainsi que son étonnant et très bon Valmont. Le deuxième, bien plus évident si j'ose dire, et je l'ose, Stanley Kubrick, avec Barry Lyndon bien sûr. Je déplore toujours l'abandonné projet sur Napoléon.
Yórgos Lánthimos peut donc se targuer, même s'il s'en cogne sans doute, d'entrer dans le cercle privé. Il faut dire que son film avait tout pour me plaire, on partait déjà d'un trailer qui m'avait assommé aux larmes, et qui fait toujours son effet au fil des visionnages.
Le style et les codes établies par le cinéaste depuis quelques films représentent ce que j'aime, et surtout ce que j'aimerais pouvoir réaliser. A savoir : une fable cynique, sans pitié, à l'humour grinçant et au burlesque morbide. Ça sonne surement psychopathe mais kékeujemenfou ! Si Lars Von Trier, Michael Haneke et Yórgos Lánthimos peuvent le faire, c'est qu'il y'a un public pour.
The Favourite a donc pour ordre de partir d'une réalité pour mieux s'en détacher, si les personnages principaux et d'autres ont bien existé, ils n'ont en rien vécu de ce qui est montré à l'écran. Magie du cinéma et surtout folie, plongé dans un huis clos manipulateur et féministe, Lanthimos nous convie à un jeu aussi jouissif que vénéneux. Monstrueusement anachronique, encouragé également, chirurgicale, précis et piquant, déformé par le fisheye, ce biopic maquillé est une pure merveille !
Au-delà d'un ballet visuel estomaquant de virtuosité et d'une audace rare, le métrage est forcément accompagné d'une bande son délicieusement terrifiante. La musique classique, genre que je n'avais jamais vraiment approfondi m'arrive aux oreilles comme une pure jouissance via les choix du cinéaste. Ce gout du violon biscornu, aride, sec et violent, mon dieu que j'aime ça, c'est inspirant, affreux et infernal, tout ce que j'aime !
Dans le genre, il avait déjà fait fort avec le fabuleux The Killing of a Sacred Deer.
Renforçant considérablement l'œuvre douteuse et tranchante, à coup de violon ou même d'orgue sauvage, ce délice sonore accompagne royalement l'histoire de cette Reine, c'est le cas de le dire.
Cette pauvre Reine Anne, souveraine oubliée, naïve, collectionnant les lapins, 17, comme le nombre de ses fausses couches, vomissant entre deux bouchés de gâteau, faisant courser des homards (Lobster, forcément !)
Manipulée par deux femmes, une proche amie, la duchesse de Marlborough, à l'origine de la lignée Spencer-Churchill, ainsi que d'une banale servante, Abigail Masham, pas si banale.
Le trio infernal composé uniquement de femmes, femmes terrifiantes et pourtant auréolées d'un érotisme macabre, à la puissance qui ferait frémir bien des hommes. A sa manière, The Favourite est d'un féminisme osé et brillant.
Disproportionnée et maladive, cette relation joueuse s'avère passionnante et hautement captivante, je n'ai pu décrocher un seul instant tant le tout est maîtrisé. La fin, ce dernier enchevêtrement de plans est d'ailleurs fort intriguant.
Olivia Colman, désormais habituée aux rôles de Reine, incarne ici la triste Anne. En nunuche maladive, elle est d'une époustouflante générosité, elle mérite bien son flot de prix. Tantôt aberrante de gaminerie, tantôt impeccablement flippante, ce gros plan sur elle qui dure pendant la danse, assise dans son fauteuil, maquillée comme un clown, le regard vitreux de larmes, magnifique !
A ses côtés, Rachel Weisz, qu'elle retrouve après The Lobster, manipulatrice et burnée comme pas possible. Difficile de savoir s'il faut l'avoir comme amie ou ennemie.
Emma Stone, la seule non britannique du casting se glisse entre les deux pour arriver à son confort.
Un trio épatant porté par des femmes épatantes dont chacun des rôles est épatant. La gente féminine aura beau scander qu'il n'y a pas assez de bons rôles pour les femmes, en voilà trois magnifiques, aussi subtiles que grotesques.
Quant aux hommes, car forcément y'en a, Nicolas Hoult, Joe Alwyn et Mark Gatiss sortent du lot.
Pour un film historique, il faut également du flamboyant, il faut du clinquant, que ça sonne vrai, malgré les anachronismes, que je ne remarque même pas de toute manière, m'y connaissant si peu en dates. C'est pour cela qu'on peut dire qu'entres les costumes et les décors, y'a du travail de titan ! C'est tellement beau, ça rend tellement bien, rien que cette propriété qui est au cœur du film, placée dans l’Hertfordshire en Angleterre, construite en 1611, un véritable labyrinthe de couloirs qui rend le métrage encore plus tortueux.
Le tout filmé en lumière naturelle, de jour comme de nuit, ainsi les scènes de tirs aux pigeons sont d'une clarté divine et la nuit d'un piqué à l'ancienne. Comment ne pas penser une nouvelle fois au Barry Lyndon de Kubrick? Même s'il n'est pas le seul à l'avoir fait, la comparaison est permis quand on voit bien que Lánthimos est un amoureux de Stanley.
En bref, The Favourite est une fresque empoisonnée, vicieuse et culottée, où les ralentis barrés, le fisheye monstrueux, la bande son possédée, le casting joueur, l'ambition fascinante ou encore la contre plongée démesurée livrent un film historique à l’allure follement contemporaine et jouissive.
Oh mon dieu, délivre nous du mal et plonge ces femmes dans nos bras, qu'elles jouent avec !