Il est toujours amusant de réaliser combien, à toutes les époques, on aime se faire rouler dans la farine et abuser par les imposteurs les plus outrageusement ambitieux et dénués de scrupules : c'est évidemment le sujet de cette "Favorite", mais c'est aussi clairement ce que l'on peut penser de l'affreux Yórgos Lánthimos, nouvel exemple de crapaud voulant se faire plus gros qu'un boeuf kubrickien.
Si "la Favorite" n'est pas un repoussoir absolu, c'est évidemment grâce à ses trois magnifiques - dans tous les sens du terme - actrices, dont la conviction et la subtilité portent parfois ce film aux semelles de plomb à des hauteurs vertigineuses : c'est bien entendu la merveilleuse Olivia Colman, déjà remarquée pour son travail dans "Broadchurch", qui resplendit le plus, mais elle bénéficie du rôle le plus riche et le plus touchant, tandis que Stone et Weisz font des merveilles avec des personnages beaucoup plus convenus d'expertes manipulatrices.
Le gros, gros problème de "la Favorite", c'est évidemment sa réalisation, insupportable de prétention mal placée et d'une lourdeur qui tente de se faire passer au mieux pour une forme de modernité, et au pire pour de l'intelligence. Lánthimos a donc voulu réaliser son "Barry Lyndon", "actualisant" avec un mauvais goût de tous les instants les géniales intuitions de Kubrick, sans jamais se rendre compte que son fish eye, sa caméra "en marche", son esthétisme clinquant, ses dialogues vulgaires très contemporains, ses clins d'oeil complaisants pour nous rappeler que, non ceci n'est pas un "film d'époque", mais bien une critique intemporelle de la vilenie humaine, sont d'une vulgarité et d'une bêtise incommensurables.
Car, arriverait-on à supporter cette narration précipitée mais finalement sans rythme - qui fait qu'on s'ennuie pas mal devant ce film qui cherche pourtant a priori à séduire un plus "grand public" que les "oeuvrettes" précédentes de Lánthimos -, et cette laideur démonstrative, que l'on aurait bien du mal à trouver de l'intérêt à ce scénario faussement original, qui ajoute du saphisme et des mots orduriers à une nouvelle version de l'habituelle description mi-admirative mi-horrifiée des ravages de l'ambition et de la manipulation combinées, dans la haute société / le monde de la politique... Ici, tous les hommes sont des imbéciles et des fantoches puérils, et toutes les femmes des garces et des salopes : si un dernier plan, combinant la reconnaissance - bien tardive - de la tristesse infinie du triomphe, et la banalité tragique de ces jeux de pouvoir qui ne nous élèvent guère au dessus du niveau des animaux de compagnie - semble apporter un peu de mélancolie et d'humanité, il est bien insuffisant pour faire oublier deux heures de ricanements obscènes.
Terminons en rappelant à l'ineffable Lánthimos, visiblement tellement imbu de son "génie", que faire danser du Rock à des personnages d'autres siècles était déjà une idée utilisée dans le plus populaire et sympathique "Chevalier" en 2001, que Sofia Coppola avait déjà eu l'intuition que les jeux de cour du XVIIIe siècle se mariaient bien avec la décadence esthétique contemporaine, et surtout que l'on peut, comme l'a superbement montré Soderbergh dans son "The Knick", dynamiter avec élégance l'académisme du film à costumes sans tomber dans la pose "artistique".
Oublions bien vite ce film prétentieux, célébrons encore et toujours ses actrices sublimes, et retournons au vrai cinéma qui ne se contente pas de regarder son nombril et sait nous parler de nous.
[Critique écrite en 2019]
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