Un film en costumes diablement maîtrisé, quoique hermétique

S’étant livré à un public de cinéphiles plus large avec ses deux dernières réalisations que sont The Lobster et Mise à mort du cerf sacré (ces deux films ayant fait fureur au Festival de Cannes), voici que le cinéaste grec Yórgos Lánthimos s’attaque aux Oscars avec La Favorite. En même temps, il faut bien dire que le long-métrage possède les « atouts » qui tapent souvent dans l’œil de l’Académie : des têtes d’affiche déjà récompensées (Rachel Weisz et Emma Stone) et un genre prompt aux costumes et décors (ici, film historique prenant place à l’époque libertine du XVIIIe siècle). Dès lors, on comprend pourquoi le projet est aujourd’hui (à l’heure où cette critique est écrite) considéré comme l’un des grands favoris de la prochaine cérémonie des Oscars, ayant à son actif le plus de nominations (plus exactement 10, tout comme Roma d’Alfonso Cuarón). Mais une telle notoriété auprès de la profession, cette course à la statuette, n’a-t-elle pas causé la perdition d’un réalisateur atypique ? Son effacement derrière un produit fait sur mesure pour s’attirer les faveurs de la profession dans son ensemble ? Fort heureusement non : La Favorite est une œuvre digne de son géniteur, pour notre plus grand plaisir… ou indifférence.


Rien que sur le papier, La Favorite est un film taillé sur mesure pour Lánthimos. Et pour cause, comme il a pu le démontrer avec sa filmographie via divers genre (le thriller, la science-fiction, le drame…), le bonhomme aime avant toute chose parler de cruauté. De l’histoire qu’il traite. De ses personnages. Afin de mettre en valeur la bêtise humaine, bien que ses intrigues soient la plupart du temps farfelues. Avec ce film, nous avons tous les ingrédients possibles et imaginables qui lui conviennent parfaitement : une reine excessivement lunatique (pour ne pas dire folle), sa conseillère manipulatrice et autoritaire qui gouverne le pays à sa place, et la cousine de cette dernière, noble déchue en servante qui va profiter de l’occasion pour se refaire un nom et retomber dans la débauche (quitte à se montrer tout aussi impitoyable et tyrannique que sa cousine, devenant détestable alors qu’on s’était attaché à elle d’entrée de jeu). Ces trois protagonistes étant, qui plus est, au centre d’un triangle amoureux lesbien pour le moins vachard et surtout disproportionné (les aléas sentimentaux paraissant plus importants que le sort du pays et des soldats en guerre). Bref, un nouvel exemple de perversion signé Lánthimos, qui parvient à nous captiver par les actions et relations de ses personnages, ces derniers étant superbement interprétés soit dit en passant (parmi les actrices déjà citées, n’oublions pas de mentionner la brillantissime Olivia Colman).


L’autre élément majeur montrant à quel point La Favorite possède la patte propre à son réalisateur : l’ambiance. Ceux ayant déjà vu un film de Lánthimos savent reconnaître une œuvre du bonhomme, et ce sans la moindre hésitation. Avec ce nouveau long-métrage, ils auront à nouveau droit à cette atmosphère glaciale qui offre à cette cruauté, cette perversion, tout son potentiel. Son aspect malsain. Son charme hypnotique. Une ambiance que nous devons principalement au manque de musiques (la bande originale ne doit compter que 2-3 compositions) et au désir du réalisateur de tourner sans éclairage artificielle (à la lumière naturelle). Conférant aux décors ce côté si réaliste de la représentation visuelle de l’époque. Mais comme pour les précédentes réalisations de Lánthimos, l’atmosphère est si rude qu’elle en devient beaucoup trop hermétique. À l’instar de Phantom Thread (de Paul Thomas Anderson, sorti l’année dernière), La Favorite en rebutera plus d’un à cause de son rendu des plus austères et difficilement supportables. D’où le fait que certains spectateurs se montreront indifférents face au film et à ses qualités pourtant indiscutables.


Là où La Favorite est une grande première pour Yórgos Lánthimos, c’est par les moyens techniques dont celui-ci a bénéficié lors du tournage. Par là, il faut comprendre qu’à partir d’un budget de 15 millions de dollars (une « petite somme » pour un film de cet acabit), le cinéaste a su se débrouiller pour nous offrir un film historique ayant du cachet. Pour représenter comme il se doit le luxe et le mode de vie des nobles de l’époque (notamment en ce qui touche la famille royale). En effet, La Favorite témoigne d’un sens du détail pour le moins impressionnant dans les décors, les costumes, les accessoires, les coiffures et les maquillages. Et ce même si, sur ces points, le film s’éloigne de certaines vérités historiques. Un fait tout bonnement assumé par l’équipe du film, qui a pour le coup voulu renforcer l’irrévérence, la cruauté ordinaire de l’ensemble (cassant ainsi avec les codes si pointilleux du film en costumes). Un choix bienvenu, conférent au long-métrage sa petite signature au milieu de tous ces titres qui se ressemblent.


Oui, La Favorite, comme tout bon film de Yórgos Lánthimos qui se respecte, ne plaira pas à tout le monde. Mais encore une fois, nous ne pouvons que féliciter le réalisateur, qui ne s’est pas perdu dans un système tellement lourd qu’il en rend insipide l’art de bien des metteurs en scène. Avec sur le papier un banal film de costumes pour les Oscars, le cinéaste grec livre un métrage portant sa marque. Une œuvre atypique qui permet de se plonger dans son univers si particulier et risque bien de grapiller bien des statuettes lors de la prochaine cérémonie des Oscars qui se tiendra le 24 février prochain.


Critique sur https://lecinedeseb.blogspot.com/2019/02/la-favorite.html

Créée

le 16 févr. 2019

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