S'il est un personnage historique qui côtoya la mort de près, ce fut elle, Anne d'Angleterre, dernière souveraine de la maison Stuart qui occupa le trône de 1702 à 1714. Sur les dix-sept grossesses qu'elle connaitra en autant d'années, pas un seul de ses enfants ne survivra, tous morts avant le terme, à la naissance, ou emportés par la variole. Son mari, le Prince George décède quant à lui en 1708, la laissant seule sur le trône, malade et inexpérimentée.
La première vertu du film de Yórgos Lánthimos est de nous éclairer sur ce personnage historique au destin on ne peut plus tragique. Et pour l'incarner, une actrice relativement peu connue - Olivia Colman - qui apporte à son personnage, toute une gamme de nuances : de l'autorité qui sied à sa position royale jusqu'à cette détresse psychologique qui ne cessera de l'accabler. Sa composition de reine sans pouvoir et de mère meurtrie rejetant son affection sur dix-sept lapins nains comme autant d'enfants disparus, est absolument remarquable. Quant à la réalisation, elle ne trahit jamais cette histoire. Au contraire même. L'univers en vase clos du palais, où la reine perd pied peu-à-peu pied, est parfaitement rendu par les choix de mise en scène de Yórgos Lánthimos qui contrairement à ses films précédents ne m'ont pas parus gratuits. L'utilisation de l'eye-fish, les décors baroques à outrance conviennent bien à l'ambiance mortifère qui règne dans cet Elseneur britannique. Une mise en scène certes ostentatoire mais à mon avis justifiée.
Mais le film vaut surtout pour le jeu des personnages. C'est auprès de Sarah, duchesse de Malborough, ancienne amie d'enfance devenue sa favorite que la reine trouvera un soutien solide sur lequel s'appuyer tant politiquement que sentimentalement. Les relations - ambigües à plus d'un titre - qu'entretiennent les deux femmes sont bientôt chamboulées par l'arrivée d'une troisième en la personne d'Abigail Masham. Simple servante arrivée à la cour par le truchement de Sarah dont elle est la jeune cousine, Abigail nourrit rapidement l'ambition d’accéder à un rang social supérieur dont elle se sent injustement écartée. Quitte à marcher sur les plate-bandes de sa cousine. A partir de là, le film va fonctionner comme une partie d'échecs mais une partie d'échecs d'un genre particulier. Qui ne verra pas l'affrontement traditionnel de deux rois mais celui des deux favorites - on pourrait dire des deux folles de la reine (au lieu de fous) sauf qu'ici c'est bien cette dernière qui est folle tandis que ses deux conseillères ont quant à elles bien les pieds sur terre. Une partie d'échecs où les figures féminines dominent, les hommes ayant été rapidement évacués : le duc de Malborough s'en allant en guerre, comme le dit la chanson et les autres hommes ne faisant ici que piètre figuration. A ce jeu d'entourloupes et de coups tactiques, la "conseillère noire" (Sarah toujours de noir vêtue) ne se méfiera que trop tard du piège tendu par la "servante (oie) blanche". Et le spectateur d'assister non seulement à un revirement de pouvoir mais aussi à une modification progressive de ses sentiments pour chacune des deux favorites, tour à tour sympathiques et antipathiques et se rendant coup pour coup.
Un film intéressant.
Personnages/interprétation : 9/10
Scénario/histoire : 7/10 (les faits sont très proches de la réalité historique)
Mise en scène/photo/musique : 7/10
8/10
++