LA FAVORITE (2018) de Yorgos Lanthimos
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L'iconoclaste réalisateur grec nous entraîne au cœur d'une corrosive fresque historique au sein du royaume d'Angleterre au début du XVIIIe siècle. Une fois n'est pas coutume Yorgos Lanthimos choisit le film d'époque pour continuer son exploration au vitriol des cellules familiales et des bas instincts humains, déjà bien auscultés à travers le troublant Canine (2009), l'intriguant The Lobster (2015) puis plus récemment dans le glaçant Mise à mort du cerf sacré (2017).
Cette tragédie moderne sous la forme d'une farce immorale dépeint le quotidien de la fragile reine Anne (de la lignée des Stuart) à la tête de la monarchie anglaise supervisant la guerre contre la France et le rapprochement de l'Écosse avec l'Angleterre, bien aidée par la duchesse Lady Sarah Churchill (première duchesse de Marlborough) plus intéressée par les décisions politiques et les luttes de pouvoirs. Ayant la faveur sentimentale de la reine, c'est Lady Sarah qui gouverne réellement le pays, jusqu'à l'arrivée d'Abigail Hill une jeune femme recrutée comme servante qui compte bien retrouver ses racines aristocratiques.
Un triangle féminin va se mettre en place au milieu d'un conglomérat d'hommes, et insidieusrment la manipulation va voir le jour, entre les tirs aux pigeons, les caresses de lapins, les lancers d'oranges et les courses de canards et de homards. Dans ce jeu à plusieurs bandes, la caméra virevolte avec la grandiloquence habituelle du cinéaste tape à l'œil pour faire mouche au-delà des maquillages, des costumes et du décorum magnifiquement retranscrit. En effet cette brillante mise en scène qui utilise le grand angle, des effets de fish-eye, d'impressionnants travellings ou encore des plans à l'angle 180° sert toujours à bon escient l'intrigue sulfureuse qui va s'immiscer dans la cour.
Le caustique récit dévoile tour à tour des situations grotesques, des passionnants stratagèmes vénéneux, des sulfureux amours saphiques et des alliances de circonstances pour mieux détrôner la favorite dans un écrin formel sidérant de beautés et de trouvailles magnifiques. Un réjouissant jeu de massacres et de dominations aux dialogues particulièrement ciselés dans des langues bien pendues pour cracher du venin à la face de l'autre ou souligner les affrontements politiques.
La narration rythmée amplifie le bonheur du spectateur à suivre toutes les avidités et les multiples rebondissements de l'intrigue qui dépoussièrent sacrément les perruques ! Cette libre évocation historique baroque convoque sans conteste le chef-d'œuvre absolu Barry Lyndon de Stanley Kubrick (1975) ne serait-ce qu'à travers la sublime photographie (certaines scènes éclairées à la bougie) et l'excellent Meurtre dans un jardin anglais (1982) de Peter Greenaway, mais Yorgos Lanthimos instille tout son savoir faire particulier pour nous exposer la cruauté ordinaire de manière aussi crue que raffinée.
Un irrévérencieux drame sentimental pervers transcendé constamment par un trio d'actrices délicieux, à commencer par la sidérante Olivia Colman en souveraine meurtrie emprisonnée par ses humeurs cyclothymiques, ses obsessions et ses douleurs physiques. Une reine Anne bien accompagnée par l'incarnation machiavélique d'Emma Stone et l'épatante et implacable Rachel Weisz qui rendent cette exubérante fresque absolument savoureux. Avec jubilation nous regardons Yorgos Lanthimos déboulonner brillamment le film en costumes, comme un vilain garnement au milieu de cet univers fastueux.
Par le biais de cette œuvre délirante et cynique, le talentueux metteur en scène s'invite un peu plus dans la cour des grands réalisateurs contemporains, dont chaque nouveau projet cinématographique fait saliver d'avance. Mais en attendant ses prochains films, venez d'ores et déjà déguster avec délectation ce féroce jeu de dupes divertissant au sein de La Favorite. Jouissif. Mordant. Éblouissant. Cinglant.