Un triangle de pouvoir et de manipulation en pleine cour royale

(7.5/10)

Réalisé par Yórgos Lánthimos, La Favorite (The Favourite) est une satire historique qui plonge dans la cour excentrique et corrompue de la reine Anne d'Angleterre au début du XVIIIe siècle. Sorti en 2018, le film a été acclamé pour sa direction artistique audacieuse, son humour noir et les performances de ses trois actrices principales : Olivia Colman, Emma Stone et Rachel Weisz. La Favorite est un film visuellement somptueux et psychologiquement incisif, mais qui peut également dérouter par son approche cynique et parfois déstabilisante des relations humaines.


Si La Favorite brille par sa mise en scène, ses dialogues vifs et ses performances d’actrices, il n’en demeure pas moins que le style très particulier de Lánthimos, marqué par un mélange de cruauté et de comédie absurde, peut diviser les spectateurs. La richesse des thématiques explorées – le pouvoir, la manipulation, la jalousie et l’ambition – est indéniable, mais le film peut parfois sembler un peu froid ou détaché émotionnellement.


L'intrigue de La Favorite tourne autour de trois personnages principaux : la reine Anne, interprétée par Olivia Colman, une monarque instable, capricieuse et émotionnellement fragile ; Lady Sarah, jouée par Rachel Weisz, qui contrôle efficacement le royaume à travers sa proximité avec la reine ; et Abigail, incarnée par Emma Stone, une jeune femme ambitieuse qui va progressivement déloger Sarah de son rôle de confidente privilégiée.


Le film se concentre sur le triangle complexe qui se forme entre ces trois femmes, chacune cherchant à obtenir le pouvoir ou la faveur de la reine, que ce soit par des moyens émotionnels, psychologiques ou sexuels. Au cœur de cette intrigue se trouve une lutte de pouvoir sans merci, où la manipulation et la tromperie deviennent des armes pour influencer la reine vulnérable. L’un des aspects les plus fascinants de La Favorite est la manière dont le film dépeint ces relations non pas comme de simples jeux de cour, mais comme des batailles psychologiques profondément ancrées dans des enjeux personnels.


La reine Anne, interprétée de façon magistrale par Olivia Colman, est un personnage à la fois tragique et ridicule. Souffrant de problèmes de santé et profondément affectée par la perte de 17 enfants, elle est émotionnellement instable et constamment en quête d'affection et d'attention. Colman parvient à capturer la fragilité de la reine, oscillant entre des moments de pure folie et des éclairs de lucidité. Son besoin constant de validation et de réconfort fait d’elle une figure manipulable, mais aussi profondément humaine, prisonnière de son propre pouvoir.


Lady Sarah, jouée par Rachel Weisz, est une femme forte, intelligente et dominatrice. Elle exerce une influence directe sur les affaires politiques du royaume, tenant la reine sous sa coupe grâce à une combinaison d'affection sincère et de manipulation calculée. Sarah est à la fois une amie loyale et une stratège redoutable, ce qui en fait un personnage complexe, oscillant entre la bienveillance et la cruauté. Sa relation avec la reine est marquée par une ambivalence fascinante : est-elle vraiment attachée à Anne ou utilise-t-elle seulement sa position pour conserver le contrôle du pouvoir ?


Abigail, interprétée par Emma Stone, arrive à la cour en tant que simple servante après avoir été ruinée par la chute de sa famille. Très vite, elle révèle une ambition froide et calculatrice, prête à tout pour améliorer sa situation. Abigail est un personnage caméléon : innocente en apparence, elle se révèle être une manipulatrice redoutable, prête à trahir, mentir et séduire pour accéder à la faveur royale. Son ascension rapide au sein de la cour est un processus fascinant à observer, et Stone joue ce rôle avec une nuance qui rend son personnage à la fois attachant et inquiétant.


L’intérêt principal du film réside dans cette dynamique de pouvoir en constante évolution. À travers des jeux d’esprit, des trahisons et des manipulations, ces trois femmes s’affrontent dans une lutte qui mêle politique, désir et survie. Chaque geste, chaque parole est chargé de sous-entendus et d’enjeux cachés, et le spectateur est constamment invité à lire entre les lignes pour comprendre les véritables motivations des personnages.


Ce qui distingue immédiatement La Favorite des autres films historiques est la mise en scène audacieuse de Yórgos Lánthimos. Dès les premières scènes, il devient évident que le réalisateur grec ne cherche pas à respecter une reconstitution historique classique. Le film adopte une esthétique visuelle baroque et parfois anachronique, avec des angles de caméra inhabituels, des mouvements de caméra brusques et l’utilisation fréquente d’objectifs fisheye qui déforment les perspectives. Ces choix visuels accentuent le sentiment d’étrangeté et de déséquilibre qui imprègne tout le film.


La lumière naturelle, captée de manière somptueuse par le directeur de la photographie Robbie Ryan, renforce cette atmosphère. Les vastes couloirs du palais, illuminés par la lumière des chandelles, créent un contraste entre la grandeur de l’architecture et l’intimité des drames humains qui s'y déroulent. Les costumes, conçus par Sandy Powell, sont également un élément clé du film, mêlant précision historique et touches modernes, soulignant le caractère théâtral et absurde de la cour royale.


L’humour noir, caractéristique de Lánthimos, est omniprésent. Les dialogues, acérés et souvent cinglants, sont une des grandes forces du film. Le langage cru, les insultes et les répliques mordantes participent à déconstruire l’image traditionnelle de la monarchie et à humaniser les personnages, en dévoilant leurs désirs, leurs peurs et leurs mesquineries. Cet humour, bien que souvent réjouissant, peut également renforcer le sentiment de distance que certains spectateurs pourraient ressentir vis-à-vis des personnages.


Si La Favorite est souvent hilarant par son absurdité et ses dialogues mordants, il n’en reste pas moins un film profondément cynique sur la nature humaine. Lánthimos semble prendre un plaisir particulier à dépeindre ses personnages sous un jour cruel, égoïste et manipulateur. La cour royale devient le théâtre d’un jeu de pouvoir où chacun est prêt à trahir l'autre pour assurer sa propre survie ou ascension. Cette vision sombre des relations humaines, où l'amour, l'amitié et la loyauté sont constamment minés par l'ambition et la jalousie, fait écho à des thématiques récurrentes dans la filmographie de Lánthimos.


Le film explore également des thématiques plus larges, comme la solitude, la quête d'affection et la manière dont le pouvoir corrompt. La reine Anne, bien qu'au sommet de la hiérarchie sociale, est l'une des figures les plus pathétiques du film : elle est constamment à la recherche de validation, entourée de personnes qui cherchent à l’utiliser pour servir leurs propres intérêts. À travers elle, le film questionne la notion même de pouvoir, montrant qu'il peut être à la fois une prison et une source de vulnérabilité.


L’autre grande thématique de La Favorite est la lutte des classes et l’ascension sociale. Abigail, issue d’une famille déchue, représente une figure de la méritocratie tordue : bien qu’elle soit intelligente et déterminée, son ascension se fait au prix de manipulations et de trahisons. Le film montre que, dans cette cour royale où l’apparence et la position sociale comptent plus que tout, même les plus faibles peuvent renverser les rapports de force s’ils sont prêts à tout sacrifier.


Avec ses dialogues brillants, ses performances d’actrices magistrales et sa réalisation audacieuse, La Favorite est indéniablement un film qui marque les esprits. Cependant, son style particulier et son humour corrosif ne plairont pas à tout le monde. Le ton froid et cynique du film, couplé à une mise en scène souvent volontairement décalée, peut créer une certaine distance émotionnelle. Les personnages, bien que fascinants à observer, ne sont pas particulièrement sympathiques, et leur quête de pouvoir peut sembler vaine ou déprimante.


Pour certains spectateurs, ce manque d’émotion pure, cette froideur presque clinique dans la manière dont les personnages se traitent entre eux, peut rendre le film difficile à apprécier pleinement. La Favorite est une œuvre qui se savoure avant tout pour son intelligence, son humour et sa mise en scène, plutôt que pour sa capacité à émouvoir ou à toucher profondément.


La Favorite de Yórgos Lánthimos est un film audacieux qui mêle satire politique, intrigue de cour et comédie noire avec brio. Porté par trois actrices extraordinaires, le film propose une réflexion acide sur le pouvoir, la manipulation et la fragilité

CinephageAiguise
8

Créée

il y a 3 heures

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