Le baiser de la femme chat.
Tourné en à peine trois semaines pour un budget modeste de 135 000 dollars, "La féline" en remporta plus de quatre millions, sauvant la RKO du naufrage après l'échec de "Citizen Kane". Un produit de pure exploitation imaginé par un Val Lewton avant tout désireux de taper dans la série B mais qui, ironiquement, allait entrer dans la liste très restreinte des chefs-d'oeuvres du cinéma d'épouvante.
Par la grâce d'une suggestion maîtrisée de main de maître par Jacques Tourneur, "La féline" réussit l'exploit d'instaurer une ambiance trouble et pesante, de créer l'effroi et de se poser comme un véritable film d'horreur sans jamais montrer une seule séquence à caractère fantastique, Tourneur jouant jusqu'à la fin avec le cadre et les apparences, laissant le spectateur douter de sa propre perception.
Filmant de simples décors avec une élégance et un sens du cadre frisant l'impertinence, Tourneur aborde sa série B comme un drame de classe A, comme s'il s'adressait non pas à un public adolescent venu se payer un gentil frisson régressif, mais bien à une audience adulte, son film, bien qu'assumant totalement sa condition de bande d'exploitation, pouvant se voir comme le récit d'un couple en crise, comme la descente en enfer d'une femme délaissée que la jalousie va pousser aux portes de la folie meurtrière.
Parfois bavard et mettant un certain temps à démarrer, "La féline" conserve encore toute sa puissance évocatrice plus de soixante-dix ans après sa création, un poème funèbre aussi épuré dans ses atours les plus fantaisistes que d'une flamboyante beauté dans son ensemble, un petit bout de film qui aura l'air de rien marqué l'histoire du cinéma fantastique à sa modeste façon.