Il y a quelque chose d'assez extraordinaire chez Kirk Douglas, dans sa capacité à s'investir pleinement dans les rôles aussi différents qu'il aura occupés au cours de sa carrière et à les rendre aussi naturels, tangibles, réels. Soldat, cowboy, trappeur, viking (hum), marin, gladiateur, peintre, boxeur... et dorénavant trompettiste de jazz. Plus on en apprend sur l'homme désormais centenaire, plus on se dit que ce ne devait pas être facile de tourner avec lui (devant ou derrière la caméra), mais bon sang, quel acteur. Et à ceux qui auraient un doute : oui, Kirk Douglas a encore trouvé le moyen de montrer ses pectoraux saillants ici, au détour d'une séquence aux vestiaires. Il ne peut pas s'en empêcher, c'est incroyable.
"La Femme aux chimères" ("Young Man with a horn" en V.O., allez comprendre) pourrait être considéré comme un biopic assez distancié sur la vie de Bix Beiderbecke, un pianiste et trompettiste de jazz autodidacte mort à 28 ans d'une pneumonie au début des années 30. Années (de production) 50 obligent, on aura droit à un magnifique happy end mensonger qu'il est difficile de ne pas voir comme imposé. Mais peu importe, le reste est là, et force est de constater que Michael Curtiz, à travers les différentes étapes de la vie et de la carrière artistique de son protagoniste, est parvenu à capter l'esprit jazz des jam sessions américaines du début du 20ème siècle avec brio. Musique et photographie sont toutes deux géniales.
Dommage qu'à côté d'un Kirk Douglas habité, Lauren Bacall semble si sûre d'elle au point d'oublier de faire croire à son personnage. Elle en fait beaucoup trop (et trop vite) dans le registre de la femme fatale en distribuant son regard de braise à tour de bras : en résulte un effet plutôt contre-productif qui rend l'association (comprendre : mariage) des deux personnages assez saugrenue. Pour le reste, l'indépendance du personnage principal a beau être parfois traduite de manière un peu scolaire, en insistant sur sa réticence à jouer une partition donnée ("I'm not going to be tied down to anybody or anything. From now on, I'm playing it my way."), l'ensemble est exécuté avec un certain talent. La relation d'amitié qu'il entretient avec son mentor Art Hazzard est particulièrement attachante. Au final, la passion comme seule raison de vivre et les difficultés (physiques, morale) d'une telle vie d'artiste sont des considérations assez proches de ce que dépeignait récemment "Whiplash", mais abordées sous un angle radicalement différent.
[AB #174]