Considéré de nos jours comme un classique, Prix Spécial du Jury à Cannes en 1964, nommé pour l'Oscar du meilleur film étranger, La Femme des Sables, réalisation la plus célèbre de Hiroshi Teshigahara, est d'abord une œuvre moderne, s'inscrivant pleinement dans le mouvement de la Nouvelle Vague Japonaise, dont il est un des films les plus représentatifs, au même titre que Nuit et brouillard au Japon, de Nagisa Oshima, ou L'Île nue de Kaneto Shindo.


Adapté du roman de Kôbô Abe, le film marque la deuxième collaboration de l'écrivain et du cinéaste, ainsi que du compositeur Tôru Takemitsu. D'ailleurs, dès les premières images, la musique prend une place essentielle dans l’œuvre, une musique étrange, non-mélodique, qui rappelle fortement la musique traditionnelle du théâtre classique nippon et qui, surtout, colle parfaitement aux images de Teshigahara. Ensemble, elles parviennent, dès les premiers plans, à instaurer une ambiance étrange, quasiment surnaturelle et franchement angoissante.
Pourtant, le début de La Femme des sables se contente de montrer un homme qui arpente les dunes à la recherche de scarabées des sables. Mais il y a immédiatement quelque chose d'inquiétant à voir ces insectes s'enfouir dans le sable ou en resurgir inopinément, et la suite du film confirmera ces impressions : nous assistons là à une préfiguration de ce qui va arriver à cet instituteur, et à une première affirmation du caractère animal de l'être humain, qui sera revendiqué tout au long du film.


Notre personnage va donc se retrouver prisonnier dans une maison au fond d'une cuvette de sable. Un sable qui s'insinue partout, il ronge tout, pourrit le bois, se glisse dans les moindres interstices. Il tue aussi les villageois : le mari et l'enfant de la femme chez qui l'instituteur réside sont morts ensablés. Omniprésent à l'écran, le sable envahit les décors et les corps. Par tout un jeu de gros plans, de montage et de superposition d'images, les personnages se transforment en êtres de sable. Les formes féminines se confondent avec les dunes mouvantes.
De part son invasion pernicieuse, le sable est plus qu'un élément narratif : il constitue le personnage principal du film. Les plans nous le montrent comme un être vivant, un parasite sur la peau, mais aussi un raz de marée ou même une coulée de lave. Toutes ces comparaisons visuelles n'ont qu'un but : montrer le danger qu'il représente, et confirmer que les personnages sont dans une situation mortelle.
Une situation mortelle et absurde. Voir notre deux humains, toutes les nuits, invariablement, pelleter le sable pour l'empêcher d'envahir la maison, rappelle inévitablement la malédiction de Sisyphe. Et le récit qui frôlait le fantastique prend alors une autre dimension, celle d'une fable philosophique, une allégorie de la condition humaine. Une absurdité de la vie contre laquelle il serait vain de se révolter, et qu'il faut se résigner à accepter.
Enfin, ce sable, c'est aussi celui du sablier, le temps qui s'écoule, la vie qui s'enfuit. De même qu'on ne peut retenir le sable, rien ne permet d'empêcher le temps de passer. Les subterfuges sans cesse recommencés ne font que ralentir l'inévitable processus, et tout cela rend encore plus absurde les gesticulations des personnages principaux.
Du coup, on comprend que toute tentative d'évasion est vouée à l'échec. On appartient au sable, on ne peut pas s'en extraire.


Du coup, de nombreuses scènes établissent un parallèle entre les personnages et les insectes des sables. Et Teshigahara en profite pour présenter l'être humain comme un animal. Sa réalisation insiste sur les corps, dans des gros plans absolument magnifiques et d'un érotisme rare. Progressivement, les personnages sont réduits à leurs seules fonctions corporelles : manger, boire, uriner, faire l'amour. L'instituteur tente bien, de temps en temps, de se rattacher à son intellect, sa culture, son savoir, dont il est si fier. Mais tous ses raisonnements sont vains face au sable. Il dit se refuser à accomplir un travail qui relève du singe, mais il ne se rend pas compte qu'il est lui-même un animal.
Une scène est significative de cette bestialité qu'il va enfin assumer. Lorsqu'on lui demande de faire l'amour devant tout le monde en échange de dix minutes de sortie sous surveillance, il va accepter de le faire alors que la femme refuse, disant : « nous ne sommes pas des bêtes ». Et lorsque la veuve tombera malade, c'est un vétérinaire qui viendra la soigner...


En 2h27, Hiroshi Teshigahara livre une véritable leçon de cinéma. Il emploie tous les procédés du langage cinématographique (dialogues, composition des cadres, musique, photographie, montage) pour construire un film non seulement superbe, mais profond et unique, une œuvre bouleversante et dérangeante sans pareille dans l'histoire du 7ème art.

SanFelice
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le 18 nov. 2016

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