Un jour Orson Welles rentre en coup de vent dans le bureau de Marcel Pagnol.
"Je voudrai rencontrer Raimu."
Marcel Pagnol, sidéré, lui répond : "Malheureusement, il vient juste de mourir, il y a quinze jours..."
Orson Welles reste silencieux, puis fait demi-tour et lance à l'écrivain-réalisateur avant de partir : "Nous venons de perdre l'un des plus grands comédiens de ce siècle."
C'est le réalisateur provençal qui rapporte cette anecdote, pour souligner la puissance exceptionnelle du talent de Raimu, homme au physique ingrat mais à la séduction hors du commun, allié à un talent que peu d'acteurs peuvent se targuer de dépasser et d'égaler d'ailleurs, même maintenant.
Dans ce film, que beaucoup considèrent comme "mineur", Marcel Pagnol, sur une histoire du grand écrivain Jean Giono, offre à Raimu le rôle d'un homme habité par l'amour avec un immense "A", et qui, lorsque sa femme le plaque pour un berger au regard de braise, Charles Moulin, perd littéralement l'envie de vivre. Dans le déni, puis dans la dignité profondément blessée, ce qui lui permet encore, à peine, de tenir debout, il va partir à la recherche de l'infidèle, aidé par les villageois, du marquis énervé (le berger travaille pour lui) en passant par l'instituteur laïcard, le curé psycho-rigide, les paysans "qui ne se parlent plus, mais ne savent plus trop pourquoi" au pauvre jardinier, tout d'abord goguenards et moqueurs puis touchés par la profondeur vertigineuse et la délicatesse d'âme de leur nouveau boulanger.
L'histoire est d'une simplicité extrême, voulue. Les répliques, parfois cinglantes, parfumées à l'accent chantant de la Provence, fusent et font sourire, rire et parfois serrent le coeur. Là réside la colonne vertébrale du film, soutenu par Raimu, dont la perfo, d'une fabuleuse complexité dans la palette des sentiments humains, allant du déni à la colère, de la tristesse à l'émotion, du sarcasme à la douceur, nous offre une magistrale leçon d'acteur.
Face à lui, la mutique, menteuse et violente Ginette Leclerc, bien choisie car elle incarne parfaitement la fille du sud, séductrice, au physique pulpeux, aux yeux couvant des flammes de désir à l'état brut, puis de mépris pour les "hommes" et enfin noyés de larmes amères.
On peut sentir la chaleur qui émane du fournil, répondant à la chaleur des paysages brûlés par le soleil et à l'exacerbation des sentiments qui bouscule le petit village indolent, et pousse enfin ses habitants à secourir leur boulanger.
On se souviendra de la chatte noire Pomponnette, qui rentre en même temps que sa maîtresse, après avoir couru à l'appel des matous énamourés, et qui, en lapant avidement son lait, reçoit une semonce particulièrement virulente mais empreinte d'une tendresse infinie de la part d'Aimable, le mari trompé mais consolateur.
Je me dis, après avoir revu ce film, que certains acteurs devraient la voir, cette "œuvrette" en noir et blanc, qui acquière des couleurs merveilleuses grâce à Raimu, et à ceux qui l'entoure comme Fernand Charpin, Robert Vattier, Edouard Delmont, Ginette Leclerc, Charles Blavette ou encore Robert Bassac.
C'est cela, le métier d'acteur !

Elisariel
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le 5 janv. 2018

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