On a coutume de situer la naissance de l’adolescence au cinéma avec La Fureur de vivre en 1955, où James Dean partageait l’affiche avec Nathalie Wood. La même année, il interprétait un autre écorché vif face au monde des adultes dans l’adaptation d’A l’est d’Eden de Steinbeck par Kazan : autant de signes forts sur la manière de filmer la jeunesse et de la faire entrer de plain-pied dans la mythologie hollywoodienne. Kazan, embauche 6 ans plus tard Nathalie Wood (qui s’est entre temps illustrée notamment dans West Side Story) pour un récit qui va dépasser les maladresses de ses prédécesseurs.


Le duo que la star va former avec Warren Beatty va certes alimenter les gazettes people et faire de Beatty une star, mais là n’est de loin pas l’essentiel : La fièvre dans le sang (Splendor in the grass, de son titre original tiré d’un vers de William Wordsworth) est un grand film sur l’accession au monde des adultes et sur le mystère irrésolu de questions sans réponses.


L’intrigue, relativement simple met face à face deux classes sociales qui vont dresser une barrière face à un couple naissant : Deanie, d’une classe moyenne et conservatrice, et Bud, dont le père a fait fortune et a tracé à l’avance un avenir de prestige. Mais Kazan prend soin d’étoffer l’univers narratif par un regard acéré sur les seconds rôles, dressant ainsi le portait de toute une société : les parents, bien entendu, mais aussi les camarades de la même génération, ou encore les représentants d’un certain ordre (médecin, prêtre). Point commun à toute cette communauté, le silence assourdissant face aux interrogations des jeunes impétrants à la vie adulte. La galerie de portrait permet de dessiner les différents possibles du paraitre social : l’apparence de vertu, avec ce très fort personnage de la mère de Deanie, obsédée à ce que sa fille reste une « nice girl », les signes extérieurs de richesse, par la famille de Bud et ses déclinaisons, du nouveau riche grossier (le père) à la décadente (la sœur). Autour d’eux, derrière les rideaux, les commères, les juges silencieux qui contaminent jusqu’à la communauté scolaire où l’on toise, on évalue, on séduit.


Certes, la façon de dépeindre l’univers du lycée ressemble bien plus aux 60’s naissantes qu’à l’année 1928 du récit, mais c’est aussi là l’un des intérêts que de greffer sur cet univers romanesque des préoccupations résolument modernes. La jeunesse qui tente de s’émanciper est bien celle de 1961, étouffée dans un code toujours en vigueur de bigoterie et d’hypocrisie. La figure de la fille facile, qui permettrait au jeune homme de devenir un adulte avant le mariage, est en cela révélatrice : on tente encore de mettre les individus dans des cases, sans jamais tenir compte des élans et de la beauté indicible du désir.


C’est là la grande puissance de ce triste parcours : en montrant les multiples voies de l’incommunicabilité, Kazan tisse les stridences d’un grand cri générationnel. À la morale et au dollar répondent la dépression et l’explosion d’un crash boursier, au discours parental répond la révolte, les pleurs et les renoncements. Mais ce qui reste, c’est bien ce silence, cette impossibilité des adultes à définir ce qui ravage et transporte, et semble si incompatible avec les exigences du cadre social. La figure du médecin, incapable de répondre aux questions sur le désir, est en cela symptomatique, et révèle la profonde foi que Kazan attribue au cinéma pour mettre en image le bouleversement des êtres. Ce n’est pas innocent s’il s’en remet finalement à la poésie pour clore son récit, explicitant le titre de son film qui aura su mettre en lumière la part la plus intense et cachée de ses personnages :
« Though nothing can bring back the hour Of splendour in the grass, of glory in the flower ;
We will grieve not, rather find Strength in what remains behind
».

Sergent_Pepper
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le 10 juil. 2019

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Sergent_Pepper

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