Kirill Serebrennikov a adapté le roman d’Alexeï Salnikov, Les Petrov, la Grippe, etc., une œuvre littéraire très proche de son propre univers, où réalité et fantasmes se côtoient. Le film qu’il en tire, La Fièvre de Petrov, parvient à mettre en images, et c’est une gageure, le foisonnement délirant du texte. Une plongée hallucinée dans la Russie d’aujourd’hui, entre nuits d’ivresse, accès de fièvre et déliquescence sociale.


Quand le réel se grippe
Avec ce nom des plus usuels en Russie, les Petrov font office de famille lambda. Lui dessinateur de BD, elle bibliothécaire. Divorcés, ils se partagent un fils féru de jeux vidéos et peu porté sur la vaisselle. Dès la première scène, toussant et crachotant au milieu d’un bus bondé, Petrov nous interpelle du regard comme pour nous avertir des épreuves à venir. De fait, le trentenaire est entrainé par son ami Igor à bord d’un corbillard pour une longue nuit d’ivresse. After hours, mais au pays de Dostoïevski ! Le romancier, et le cinéaste à sa suite, opèrent une destructuration totale du récit. De sorte qu’il sera très difficile, deux heures trente durant, de distinguer ce que vivent les protagonistes de ce qu’ils imaginent. D’autant qu’au présent – une fête d’école où Petrov emmène son fiston – se mêlent les souvenirs du passé. Celui d’une Russie disparue.


Un pays malade
C’est un portrait peu reluisant de son pays que dresse Serebrennikov. Un pays fatigué où les différentes communautés surenchérissent dans la haine de l’autre. Au-delà du personnage principal qui traine sa crève tout au long du récit, c’est l’ensemble des figures du film qui semblent porter sur leur épaules le poids d’un système en déliquescence. Ainsi, la femme de Petrov, discrète de nature, se transforme-t-elle en tueuse impitoyable – ou peut-être le fantasme-t-elle seulement – éliminant les individus grossiers qu’elle ne peut plus voir en photo. De même, ces personnages qui n’en finissent pas de se cogner la tête dans des lustres censés les éclairer. Tout un symbole. Plus de deux heures durant, le cynisme du récit le dispute à son absurdité. Entre Kafka et Gogol. Pour le meilleur mais également jusqu’à la saturation. Un film monstrueux et démesuré.


Plans séquences et mise en abyme
On savait depuis Leto, son précédent film, à quel point l’écriture de Serebrennikov pouvait être inventive. La Fièvre de Petrov confirme cette virtuosité du réalisateur russe capable de nous embarquer dans des plans séquences de folie – le film débute et se termine par deux must du genre -, de jouer avec des graphismes animés sortis de nulle part, ou de convoquer une palette de lumières surprenante comme dans ces scènes monochromes du taxi corbillard. Un univers glauque, poisseux où surgissent des scènes totalement incongrues qui laissent penser que toute cette fantasmagorie n’est peut-être que le fruit de l’imagination enfiévrée de Petrov, dessinateur de BD à ses heures perdues. Une mise en abyme vertigineuse, façon poupées russes.


8/10


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le 6 déc. 2021

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Theloma

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