Rêves, Fantômes & Analyses
Eh bah pour une surprise, c'est une surprise !
J'y allais curieux, pas sûr d'aimer mais séduit par l'étrangeté du projet...Je ne m'attendais pas à quelque chose d'aussi immense, d'aussi touchant et d'aussi profondément "cinématographique" ! En fait, le plus beau dans le film c'est ça : comment il n'arrive qu'à parler de cinéma, tout du long de ses superbes 90 minutes, en étant techniquement le plus éloigné de cela (l'amateurisme du projet, son budget plus que modeste, ses travellings à la poussette). Parce que "La Fille de nulle part" est peut être l'un des plus beaux films sur le cinéma que j'ai eu l'occasion de voir. Son approche de cet art singulier est touchante, pertinente, jamais hautaine ou snob, toujours très théorique et monologué mais qui sait viser juste, qui sait voir ce qui s'y trouve d'humain, d'étrange et de palpitant. Le plaisir qui se dégage de la vision du film de Brisseau est purement cinématographique, il est celui de suivre une histoire et des personnages, des émotions recréées sur l'écran, et laisser divaguer son désir d'émotions nouvelles. Il y a de ça dans le film, mais il y a aussi le plaisir de l'analyse, le plaisir de la référence, de la critique. C'est l'histoire d'un prof devenu écrivain, d'un homme qui a décrypté les mots, les images, la logique des choses toute son existence, et qui soudain découvre un film, le film de sa vie, et se laisse submerger. Alors on pourrait faire de même, analyser, analyser le film jusqu'à se perdre (et il est passionnant à analyser) mais ce qu'il faut retenir de la réflexion qu'il nous offre est justement que l'analyse de fait pas tout, qu'elle est là pour mettre des mots sur l'instant mais que l'instant finit toujours par s'y enfuir et la rendre dérisoire. Pour Brisseau, le cinéma est l'affaire des rêves et des fantômes, c'est le monde de l'abstrait qui se souhaiterait concret mais qui n'est jamais plus beau que lorsqu'il reste dans le trouble. Et cette réflexion là, passionnante, trouve matière dans la plus belle des mises en scène : l'appartement du cinéaste, créateur d'intimité, cabine de projections (dans chaque plan, par ci par là, traîne le DVD d'un film), antre animale et nimbée d'étrangeté. Brisseau y est maître de tout, mais son humilité est de laisser cet appartement qu'il connait depuis tant d'années prendre le dessus et le surprendre enfin. "La Fille de nulle part" est le récit de cet appartement qui révèle son secret, et voir que le cinéaste lui-même le découvre en même temps que nous est quelque chose de rare et précieux : c'est un immense film.
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