La violence des sentiments.
Aujourd'hui, j'ai honte. Honte d'avoir mis vingt-huit ans pour voir ce chef-d'oeuvre. Honte d'être passé à côté, d'avoir pensé ne pas tenir plus de trois heures devant les déboires sentimentaux d'une midinette sous ombrelle. Honte de m'être trompé à ce point, honte d'avoir douté un seul instant du génie de David Lean.
Dans un seul plan de cette variation autour du "Madame Bovary" de Flaubert, il y a dix fois plus de puissance que dans vingt ans de cinéma moderne. Voir "La fille de Ryan" c'est assister à un immense moment de cinéma, être témoin d'un miracle accompli par un cinéaste touché par la grâce.
Soutenu par des collaborateurs d'exception, David Lean enfante ici son chef-d'oeuvre ultime, injustement camouflé par l'ombre imposante de ses autres classiques, d'un romantisme et d'une beauté picturale à vous couper le souffle, sorte d'opéra shakespearien où Lean confronte la délicatesse à la vulgarité, l'innocence à la bêtise, la nature sauvage à la violence des sentiments humains.
Au bout de ces trois heures de poésie douloureuse, le barbare sanguinaire qui est en moi à déposé sa hache sur le sable chaud, pris délicatement la main de la midinette qui hante également mon coeur de cinéphile, pour entamer une valse endiablée les menant sur la lune.