"Tu es faite pour le monde sauvage, pas pour ici"
La fille de Ryan, c'est l'occasion de découvrir un classique, pas trop classique justement. En effet, bien trop souvent lorsqu'il est question de films cultes, on se retrouve face à un long-métrage académique, de qualité, très élaboré mais aussi parfois relativement impénétrable et finalement longuet. L’œuvre de Lean n'est pas dépourvue de passages superflus mais dans son thème, sa façon de le traiter et de filmer les personnages, elle est irrémédiablement moderne. Car attention, il est ici question de désir.
Celui qui s'installe dans le cœur d'une jeune fille amoureuse, trop impatiente et ingénue, et qui finira par être déçue de son amant. Cet homme pied à terre, sans passion, qui accomplit son devoir conjugal sans état d'âme et installe Rosy dans une platitude bovarienne. Puis ce même désir qui renaîtra ensuite par un jour sombre, sous les traits d'un bel et mystérieux officier anglais.
Mention spéciale pour cette scène d'ailleurs, la plus belle à mes yeux, marquant l'arrivée du major Doryan sous un ciel qui s'assombrit, chargé d'électricité, comme le présage d'un événement tragique qui arrive, lentement...
On remarquera en outre que tout au long du film, les paysages irlandais ne sont jamais un simple décor. Comme un symbole du désir, la nature est ici personnifiée et ses mouvements révélateurs des fluctuations sentimentales des protagonistes : les falaises frappées de vagues dantesques, le ciel capricieux, un coquillage ramassé à marée basse, une clairière apaisante tapissée de violettes dans la forêt... La fameuse scène érotique où Rosy succombe à ses désirs en la personne de son beau major, est d'ailleurs proche à mes yeux de l'esthétique Malickéenne. On y assiste à une totale fusion avec la nature. Tous les éléments semblent s'être réunis pour encourager cette rencontre : les deux fils d'araignées qui dansent, les arbres, les pissenlits mis à nu par le vent, les tapis de violettes à n'en plus finir, la rivière qui chante... On est alors à l'apothéose du désir de l'héroïne.
Et la Nature se révèle finalement être un personnage bien plus intéressant que ceux qui peuplent le village. Jaloux, médisants, grossiers, cruels, ceux-ci n'attendent qu'un faux pas de la part de l'héroïne pour laisser libre court à leur haine. Sur fond historique (l'insurrection de Pâques en 1916), le film est pourtant libre de tout parti pris. Le spectateur se retrouve ainsi tour à tour engagé humainement dans la lutte des irlandais contre l'occupant britannique, puis compatissant avec ces soldats anglais qui ont l'air de se demander eux-même ce qu'ils font dans cet enfer. Et si les villageois récriminent avec violence l'adultère de Rosy avec le major anglais, le réalisateur lui se contente de filmer les sommets du désir atteints dans cette passion. D'ailleurs seuls véritables moments de répit et de bonheur du film.
Ainsi, La Fille de Ryan est un film humain et nuancé, jusqu'à la dernière minute où là encore un doute persiste quant aux sentiments de Rosy ("pense-t-elle qu'il s'est donné la mort volontairement ?") : que va-t-elle entreprendre ? Et cette musique entraînante, un brin désuète, qui revient sans cesse, comme une ruse du réalisateur en réponse à nos interrogations...