L’amour vu par le prisme de la nature, d’une envie charnelle qui coule dans nos veines comme la sève circule dans les arbres. La fille de Ryan est un film naturaliste qui rend hommage à son environnement, et en fait presque un personnage principal. La fille de Ryan est un grand film par bien des égards, notamment par le somptueux travail visuel qui tapisse parfaitement cette osmose entre les sentiments et les éléments. Ces grandes falaises, ce vent incessant, ces routes rudimentaires, ce paysage de plaine et de bois qui renferme toutes les frustrations d’une population qui s’isole dans la religion et des valeurs patriarcales où le bien et le mal ne sont jamais éloignés.
David Lean est inspiré, fait ressortir de sa mise en scène, l’infini de son horizon, notamment à travers ces simples balades sur la plage qui pourraient ne jamais s’arrêter, une recherche, une quête vers une idylle inconnue. Le chômage rode autour d’une jeunesse qui ne fait que déambuler par méchanceté ou oisiveté, la guerre est présente et ne fait que renforcer les antagonismes entre les communautés. Même si ce n’est pas le cœur du film, David Lean montre de façon précise comment ce petit village côtier irlandais est empreint d’une marginalisation et d’un obscurantisme national forcené. Les jeunes s’amusent comme ils peuvent, alors ils se moquent de « l’idiot du village ».
Derrière cette mosaïque de ressentis, David Lean se pose une question : l’amour existe mais quel visage a-t-il ? Loin de la grande ville, loin de Dublin, Rosy lit, sans doute des romans à l’eau de rose, elle croit au prince charmant, à la grande passion qui comblerait la femme qu’elle est devenue. Elle attend désespérément l’homme de ses rêves et il semble être devant elle : son ancien maitre d’école pour qui, elle détient une fascination de jeune fille. Mais l’union créera en elle des désillusions, la routine prendra le pas sur la fougue.
Lui a déjà connu les joies du mariage, il est veuf et n’est pas forcément enclin à revivre la frivolité des premiers émois. Rosy, elle, voit alors son avenir s’obscurcir dans la monotonie. Puis un jour, un jeune officier britannique fait son apparition et le coup de foudre verra le jour, la pénombre aussi. David Lean écrit là, un film fleuve, qui dure plus de 3h mais qui campe sur un sens du rythme millimétré. Les deux films ne sont pas de la même époque mais il est intéressant de noter les similitudes entre La fille de Ryan qui semble avoir largement inspiré l’œuvre de Lars Von Trier, « Breaking the waves » : la ressemblance flagrante entre Emily Watson et Sarah Miles, cet environnement à l’autorité religieuse vicieuse, les côtes britanniques, le mariage brisée par un destin « impuissant ».
Les deux films ne se reposent pas sur les mêmes qualités : l’un est plus visuel, entouré d’un romantisme feutré, l’autre prend corps avec son sujet, un parcours viscéral. Et c’est sans doute là où le bât blesse un peu dans La fille de Ryan, à cause de son casting pas des plus charismatiques (l’insipide Christopher Jones face au triste taciturne Robert Mitchum), et de son manque de souffle excepté quelques fulgurances. La fille de Ryan, est une fresque romantique et triste, peut-être trop guindé pour faire ressortir cette sensation de pulsion, mais assez sensible pour émouvoir durant une scène d’amour qui fera renaitre la vie d’une forêt, ou cette scène finale « martyr » de punition à la violence collective diabolique.