J’adore le cinéma de Hou Hsiao-Hsien, un cinéma absolument magnifique. Mais La Fille du Nil, qui contient pleins d’éléments de mise en scène superbes et propres au réalisateur, est peut-être ma première déception dans le cinéma de Hou.


Le film reste malgré tout du Hou Hsiao-Hsien tout craché, mais en moins puissant je dirais, et en plus verbeux même, notamment avec une utilisation de la voix-off pas toujours très judicieuse. Le film me semble également avoir une portée plus intellectuelle que ses précédents films, sauf que je trouve justement que cela empiète sur les expériences proposées par Hou, qui ne sont pas des expériences purement intellectuelles (elles peuvent l'être a posteriori), mais des expériences de vie, de mort, de quête identitaire. Disons que le film est un peu trop symbolique je trouve - le titre l'évoque déjà, d'ailleurs.


Si l'on excepte cela, on a une oeuvre typiquement dans la veine de ce qu'il a tendance à nous proposer. On pourrait d'ailleurs lui reprocher de faire un peu tout le temps la même chose ! Mais ce n'est pas tout à fait juste, je pense. Alors oui, il reste évidemment fidèles à ses tonalités qui lui sont propres ; il a une signature cinématographique importante (et c'est certainement à là que l'on reconnait un grand cinéaste). Mais ses films, s'ils sont parfois encrés dans un même thème, ne racontent pas toujours la même choses. Poussières dans le vent et Les Garçons de Fengkuei s'intéressent à la vie de jeune adulte ; Un temps pour vivre, un temps pour mourir est la chronique de toute une vie, dans un film très semblable aux grands films d'Ozu, et Green Green Grass of home s'intéresse lui à l'enfance - malgré quelques intrigues autres et un peu plus politiques. Ici, ci nous sommes à nouveau projetés dans le monde d'une certaine jeunesse, sous fond d'histoire familiale, le film nous est racontée par le prisme d'une femme ; or, ce sont souvent des personnages masculins qui sont les personnages principaux des oeuvres de Hou Hsiao-Hsien (même si la mère, ou la grand-mère, on souvent des places importantes, presque sacrées). Ici, c'est bien une femme qui est le fil conducteur de l'oeuvre ; et dans la famille, on ne vit pas aux côtés de la mère justement, mais on vit dans un foyer en absence de mère, dont on sait dès le début du film, qu'elle est décédée. Il n'y a, dans cette famille, que la figure paternelle. On voit donc que Hou renouvèle tout de même son Cinéma. Et il le fait dans un film où la mise en scène est toujours aussi belle ; sans artifice notamment, avec un sens du cadrage absolument magnifique, et avec une très belle photographie, plus colorée que ses précédents films, dans un teint quelque peu orangé... un teint souvent propice à la nostalgie. Le film est plus dynamique d'ailleurs que ses grands chef d'oeuvre ; on a toujours une utilisation importante du plans fixes, mais certaines scènes semblent être pleines de mouvement (notamment les scènes en boite de nuit, les scènes où la jeunesse se met à vivre pleinement), avec des plans qui se succèdent vite (il y a un beau travail fait au montage), et qui contrastent avec des plans qui s'éternisent beaucoup et à la photographie plus face et moins colorée lorsque nous sommes dans le cercle familial. Hou Hsiao-Hsien propose donc pleins de choses intéressantes sur le plan cinématographique ; peut-être est-il un peu trop virtuose même dans ce film... Je ne me rappelle plus très bien de Goodbye south, Goodbye, qui est le premier Hou Hsiao-Hsien que j'ai vu, hormis le fait que j'avais beaucoup aimé. Mais La Fille du Nil semble plus se rapprocher de ce film dans sa mise en scène, du peu de souvenir que j'en ai.


Il y a donc des choses très intéressantes dans ce film, qui est loin d'être mauvais. Et pourtant... je n'ai pas aimé plus que cela ce film, trop inégal je trouve et qui me semble souffrir d'un problème d'écriture. Le problème de ce film, me concernant, c'est que j'ai été largement plus conquis par les plans que par les scènes. Ce qui tend à prouver que le film souffre de quelque chose. Alors oui, il y a quelques scènes de vie qui sont très belles - je pense à la scène de l'anniversaire, dans les premières 20 minutes du film, que j'ai particulièrement aimé. Mais dans l'ensemble, j'ai trouvé ces fameuses scènes de vie, dont Hou est friand, beaucoup moins puissantes, manquant de finesse et de subtilité. Je prends l'exemple de la scène, au début du film, dans la salle de classe, où un élève s'octroie le luxe d'expulser en lui une flatulence... il lâche une caisse, en gros. Les élèves s'accusent en trop et en rient ; cela aurait pu être approprié si c'était des enfants, mais je trouve cela un peu grossier pour des élèves si âgés. De manière générale, Hou Hsiao-Hsien me semble être le plus à la recherche du temps présent - parfois plus que du temps passé ou perdu (il se situe plus dans l'entreprise de Joyce et son Ulysse que dans l'entreprise proustienne). Il est un cinéaste qui capte avec brio et même avec génie ces fameuses scènes du temps présent. Ici, justement, j'ai trouvé qu'il n'arrivait pas à les capter dans leur essence, dans leur beauté la plus pure, dans ce qu'elle d'authentique. C'était quelque peu artificiel même, parfois. On constate bien entendu tout le génie de metteur en scène de Hou ; comme j'ai pu le dire, j'ai été fasciné par la construction de ses plans. Mais le film est mal écrit, et ce n'est pas sa mise en scène qui sauvera cette faiblesse d'écriture. Au-delà d'une voix-off dispensable, les quelques dialogues entre les personnages me semblaient sonner un peu faux, et la succession des scènes ne m'a pas vraiment emballé. Alors oui, il reste dans une thématique qui lui est propre, il continue de nous montrer un peuple en mal d'histoire, une jeunesse en quête identitaire, mais j'ai l'impression que Hou veut prolonger ses réflexions, et je n'ai pas trop compris où il nous menait parfois. Essaye-t-il d’être plus optimiste ? Je ne sais pas trop… Il nous montre aussi une part d’occidentalisation je trouve - la scène de l’anniversaire le montre d’ailleurs, où l’on chante en anglais. Il y a un monde de la nuit qui séduit la jeunesse comme elle peut séduire la jeunesse occidentale. On les voit même faire une sorte de chenille dans l'une des scènes se passant en boîte de nuit, et cela évoque plus l'Occident. Même les musiques de ces boîtes semblent occidentalisées, même si je crois qu'elles étaient tout de même chantées en mandarin. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Je ne sais pas trop quelle réponse nous donne Hou. Ni s'il parle vraiment de cela, d'ailleurs.


Et puis je trouve le film moins puissant tout simplement car je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages, voire à m’y identifier… J’arrivais à m’identifier au personnage principal de Un temps pour vivre, un temps pour mourir, à comprendre et à être touché par ces jeunes dans Poussières dans le vent, mais ici, je n’ai pas vraiment éprouvé de l'empathie ou de l'intérêt pour les personnages. Si le film reste formellement beau, ses faiblesses d’écriture ne m’ont permis, à aucun instant, de rentrer dans l'oeuvre. Les sous-intrigues ne m’ont pas passionné plus que cela d’ailleurs ; j’ai été très peu sensible à tout ce qui se passe dans cette salle de classe, et aux problèmes de délations d’un professeur qui serait idéologiquement douteux. C’est bien fait, évidemment, car Hou est un bon réalisateur, mais je n’ai pas réussi à pénétrer l’oeuvre, à me sentir concerné, et donc à être soit intéressé, soit touché par tout ce qui pouvait être proposé. De plus, l’écriture plutôt mauvaise du film, qui manque de délicatesse et de finesse, a aussi un côté un peu brouillon qui fait que parfois, je ne comprenais pas très bien les rapports entre les personnages. Car oui, je trouve que cette oeuvre a un côté brouillon que n’avaient pas ses films précédents. Et le côté brouillon du film vient diminuer la puissance des personnages qui semblent alors moins authentiques, car ils sont peut-être trop écrits ; ils ne semblent pas vivre par eux-mêmes, ce à quoi le réalisateur est pourtant si bon.


Mais il reste néanmoins, comme j’ai pu le dire, des plans de toute beauté, d’une beauté rare. Hou Hsiao-Hsien est l’un des plus grands génies de l’architecture du plan. Et le final du film est assez magnifique, il faut le reconnaître. Il y a en tout cas une fidélité cinématographique certaine chez Hou, qui reste un réalisateur hors-pair et dont je ne peux qu'admirer son sens du cadrage, son intelligence dans la création du plan. Car ses plans sont véritablement sublimes. Il est assurément, avec Yasujirô Ozu, l'un des plus grands constructeurs de plans fixes. Rien que pour cela, le film reste plaisant à voir, même s'il est confus et un peu ennuyant du coup.


La Fille du Nil propose du beau cinéma dans sa construction filmique, mais c'est une expérience en deçà de ses plus grandes oeuvres à cause d’un problème d’écriture. Oeuvre mineure donc, dans la filmographie magnifique de Hou Hsiao-Hsien.

Reymisteriod2
6
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le 1 févr. 2020

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