Un étrange composé de qualités et de défauts, recoupant les contradictions qui écartèlent ce film.
La thématique est intéressante, puisqu'elle ose se pencher sur la question mythique de la frontière entre la vie et la mort. Thème orphique : cette frontière n'est-elle définitivement franchissable que dans un seul sens ? L'amour n'aurait-il pas le pouvoir de renverser et de transgresser cet état de fait ? C'est ainsi que l'on va accompagner Nouk dans sa quête : ayant perdu Samuel dans un accident, elle se refuse à admettre l'irréversibilité de ce franchissement et s'emploie à maintenir un contact avec lui. Porteuse de ce "fol espoir", la Seine, sur laquelle Aurélia Georges réalise de très beaux plans, sachant faire parler l'état de l'eau, selon que celle-ci est agitée, troublée, tourmentée de remous, ou bien au contraire lisse, fluide, glissant comme de l'huile. Le travail des couleurs, aussi, aboutit à de véritables tableaux.
Mais cette fascinante fluidité se brise sur des écueils. Écueils narratifs : le lien amoureux révélait déjà une fracture, lorsque le couple était totalement vivant, et Samuel semblait chercher à se soustraire à la possessivité quelque peu tyrannique de son amoureuse. La mort peut ainsi se proposer comme un espace de fuite, rendant moins scandaleuse et déchirante, aux yeux du spectateur, une coupure qui est d'ores et déjà en place.
Ecueils logiques : dans les limbes froides et administratives dans lesquelles il atterrit et où le temps est organisé à la manière d'un club de vacances, Samuel - et l'on ne s'en étonne pas - ne tarde pas à s'acclimater et à savourer sa nouvelle liberté, rendant ainsi plus dérisoires et logiquement incompatibles les tentatives de Nouk pour le rapatrier parmi les vivants. De plus, les occupations des morts sont présentées comme si agréables, si enrichissantes culturellement, que l'on ne peut imaginer que quelqu'un puisse souhaiter s'en détourner ; ou qu'un vivant puisse avoir la cruauté de prétendre en arracher son bien-aimé ; ou qu'il hésite à le rejoindre... Par ailleurs, la veuve éplorée participe à une sorte de thérapie de groupe théâtralisant les conflits et croyant dur comme fer à l'idéologie de la coupure, de la liberté, de la sacro-sainte indépendance. Quid, alors, de la recherche de Nouk, qui souhaiterait le rétablissement du lien, présenté pourtant comme le pire des poisons ? L'écueil se fait récif, du fait de ces contradictions dans l'organisation des pôles positifs et négatifs.
Écueils liés à la direction d'acteurs : si elle excelle dans la capture des paysages (le lac gelé du début du film est filmé, à contre-jour, de manière réellement fascinante), Aurélia Georges se montre bien plus maladroite lorsqu'il s'agit de diriger ses comédiens, qui semblent passablement figés dans les glaces de la thématique.
Les qualités évoquées résistent malgré tout et l'on ne peut, purement et simplement, s'empresser d'oublier ce film, mais on regrette que tant d'éléments viennent brider une éclosion plus complète.