Cet aimable polar de Sydney Pollack (Out of Africa, Tootsie) est son dernier gros coup, alors que sa période de descente a déjà commencée ; cette grosse commande hollywoodienne suit en effet Havana, projet ambitieux dont l'exploitation a été médiocre. Dans La Firme, Tom Cruise entre dans un cabinet d'avocats prestigieux, avec lequel il vit au départ une véritable idylle. Il s'établit avec sa nouvelle épouse et goûte à une certaine puissance, quoique sa pudeur le retienne d'aller vers la grande vie qui s'offrirait facilement dans ces circonstances. Il découvre bientôt qu'il a été co-opté par une entreprise criminelle et se trouve mis sous pression de surcroît par le FBI, qui aimerait en faire une taupe. Tout retrait est impossible ; dans le meilleur des cas, il sera radié à vie de la profession d'avocat, dans le pire, la firme se débarassera de cette ressource embarassante ou les agents secrets réduiront sa vie à néant.
D'une trempe plutôt classique, La Firme devance dans le temps Erin Brockovich et a pu inspirer Michael Clayton. D'un point de vue mécanique il flirte avec l'excellence ; la séance est divertissante, l'intrigue touffue. Le suspense est globalement éventé mais le spectateur avance tout de même sans certitudes, avec un panel de possibles précis. Il en résulte une certaine intensité même si fondamentalement La Firme semble bien tempéré. La richesse de ce programme donne l'impression de passer à côté d'un potentiel bien plus grand et surtout d'un film plus profond. En somme, La Firme est un peu la porte d'entrée policée, voir familiale, vers Eyes Wide Shut, où Pollack retrouvera Cruise pour cette fois lui donner la réplique ; et laisser entrapercevoir les arcanes occultes des maîtres du monde, sans jamais répondre positivement à ses questions.
Dans certaines scènes un peu grandiloquentes, le manque de surprise alourdit l'effet ; par exemple, lorsque l'ensemble du cabinet attend Cruise pour sa récompense, l'image est forte mais sonne creux. La tension est vite évacuée, les doutes balayés et le programme poursuit son chemin finalement presque innocent. La fin sera d'ailleurs assez décevante. Le caractère subversif des Trois jours du Condor est loin, même si La Firme passe le cap des spéculations, en laissant un des avocats évoquer voir afficher son aliénation et les résultats ambigus qui en découlent (mélange de détresse, de cynisme et de sentiment de sécurité). Cette dimension sectaire semble sous-traitée. Néanmoins ce qui est donné fonctionne et cela comprend le casting, excellent, avec quelques apparitions frappantes et un peu décalées : ainsi, celle de Holly Hunter (Copycat, Leçon de piano, Crash) ou encore de Tobin Bell, futur Jigsaw de Saw (la franchise culte de torture porn en 2005-2010), ici en homme de main.
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