Se plonger dans l’histoire du western fait prendre surtout conscience d’une chose : les attributs et nouveautés qu’on a tendance à octroyer aux films sortis après l’âge d’or étaient déjà bien présents dans celui-ci : le western était crépusculaire bien avant Eastwood, violent avant Leone et pro indien bien avant Penn.
En témoigne cette grande année 1950 qui vit sortir simultanément deux films sur le sujet, La porte du Diable, premier western d’Anthony Mann, et La flèche brisée de Delmer Daves. Les indiens y sont présentés comme de véritables interlocuteurs, dotés d’une culture, d’une sagesse et de revendications balayées violemment par le colonialisme blanc.
La Flèche brisée se distingue cependant du cinéma de Mann, sur deux points particuliers. Tout d’abord dans le rôle qui y est attribué à James Stewart, protagoniste ici modélisant, d’une sagesse et d’un courage au service d’idéaux qui mettent pratiquement tout le monde d’accord. Messager diplomatique, humaniste convaincu, il pacifie les relations par les vertus du dialogue et de l’ouverture d’esprit. Chez Mann, Stewart exploite d’autres ressorts, plus complexes, dans lesquels l’ambivalence, l’individualisme et la colère colorent différemment ses personnages.
En découle l’autre élément propre à Daves, et qui construit quasiment l’intégralité du récit : un forme d’optimisme finalement assez rare dans le genre. Celui-ci s’établit sur une double dynamique, à travers les pourparlers constructifs entre Jeffords et Cochise, mais aussi la romance entre le blanc et l’indienne. Certes, la violence est présente : elle ouvre d’ailleurs le film en ne faisant pas mystère sur les exactions des indiens sur les convois des blancs, mais l’attribue surtout à l’impossibilité de communiquer entre les deux camps. La première revendication de Jeffords face à Cochise est en cela particulièrement symbolique : laisser passer les convois de courrier, qui assurent le lien entre les blancs tout en dégelant les relations aux tribus indigènes.
La couleur éclatante, l’attention apportée aux rites indiens, la splendeur des décors de la citadelle de Cochise sont autant d’éléments qui viennent s’adjoindre au projet pour composer une partition solaire. La Flèche brisée est avant tout un beau film, instaurant une foi croissante dans la paix et l’amour qui tranchent avec le crépuscule noir de La porte du diable.
Bien entendu, il ne s’agit pas non plus de proposer un rêve hippie avant l’heure. Comme le résume si bien Cochise : “To talk of peace is not hard. To live it is very hard”.
Apaiser Cochise fait naitre un nouveau chef de guerre, Geronimo, et la romance sera d’autant plus touchante qu’elle aura une issue tragique. Ce retour de la gravité, cette persistance de la violence ne sont pas pour autant à prendre comme l’effondrement de tout ce qui a précédé. Là où Mann ne sauvait rien et faisait de son film une destruction planifiée, Daves accepte la perte pour mieux éprouver le héros : Jeffords, à la manière de d’Ethan à la fin de La Prisonnière du Désert (autre monument de couleurs en terme de western), devra choisir entre la pulsion haineuse, le cercle vicieux de la vengeance et son dépassement sublimé en faveur de valeurs. La paix s’écrit en lettres de sang, mais ce que retiendra le spectateur, c’est l’abnégation d’un individu pour la maintenir au profit du bien commun.
Daves sera donc parvenu à son but : mettre son cinéma au service d’une cause, et créer une enclave un peu constructive dans un monde désolé. Ses westerns suivants, 3h10 pour Yuma ou la formidable Colline des Potences ne donneront pas beaucoup de pérennité à cet optimisme.