Au moment d’Halloween, une fête foraine arrive dans le village de Will et Jim (Vidal Peterson et Shawn Carson), deux amis. Les deux enfants ne perdent pas une minute pour se rendre à la foire. Mais voilà qu’il s’y passe des choses étranges. Des gens disparaissent mystérieusement, et il y a fort à parier que l’étrange M. Dark (Jonathan Pryce, fascinant), qui dirige la foire, n’y est pas étranger…
Produit par les studios Disney, La foire des ténèbres n’en a pas les caractéristiques habituelles. Ici, pas d’humour, pas de gentils magiciens, mais plutôt un glaçant prestidigitateur, excellemment interprété par un Jonathan Pryce (dont c'est le premier grand rôle, juste avant l'impressionnant Brazil) terrifiant à souhait, de mystérieuses disparitions, une foire maléfique, etc…
Il faut dire que Jack Clayton (connu pour Les Innocents, chef-d'oeuvre du cinéma fantastique) s’inspire d’une histoire de Ray Bradbury, un des ancêtres littéraires de Stephen King (d'après la maigre expérience que j'ai de King). Cela explique l’atmosphère étrange qui se dégage du film, particulièrement convaincante, à la fois sombre et poétique, angoissante et émouvante. Elle est d’autant mieux rendue que c’est Bradbury lui-même qui adapte ici son propre roman. C’est sans doute aussi la principale raison de l’excellence des dialogues, dans laquelle on reconnaît bien la patte de Bradbury, véritable orfèvre de la langue : il n’y a qu’à regarder la confrontation entre M. Dark et M. Halloway dans la bibliothèque, scène extraordinaire autant en termes de littérature qu’en termes de cinéma. Si Jonathan Pryce compose un méchant d’anthologie, il a face à lui un Jason Robards impressionnant d’humanité, une humanité à la fois convaincue et fragile, qui ne le lui cède en rien quant à l’excellence du jeu.
Du point de vue des défauts, il faut tout de même reconnaître que le scénario aurait pu être davantage travaillé, certaines scènes s’intégrant assez mal au développement de l’intrigue. L’autre point noir du film est le dénouement trop peu explicatif et légèrement grandiloquent, qui prend la forme d’un chaos général, qui survient on ne sait trop comment, donnant l’impression qu’il fallait trouver rapidement un moyen de conclure... C’est dommage, mais pas irrémédiable, le film ayant convaincu par la force de son récit, par sa mise en scène sobre qui évite les grands effets de manche et les effets spéciaux kitsch (dans ce domaine, on a droit au strict minimum, et c’est pour le mieux), par l’épaisseur donnée aux personnages, et par les prestations des acteurs.
M. Dark, méchant qui eût fait pâlir d’envie le maître du suspense, Hitchcock lui-même, est digne de rentrer dans le panthéon des méchants les plus réussis du cinéma. Il exerce une fascination sans borne sur les personnages mais aussi sur le spectateur, certes grâce à la prestation ébouriffante de Pryce, mais aussi grâce à sa méthode de perversion séductrice (quoiqu'il reste trop mielleux pour qu'on ait vraiment envie de lui faire confiance) qui en fait l’incarnation de Satan, en proposant aux personnages de réaliser ce qu’ils désirent le plus au monde, qui se révèle en fait être l'instrument de leur perte, jusqu’à la damnation éternelle. En cela, la finesse des dialogues permet de rendre parfaitement le caractère ambigu et néfaste, en un mot diabolique, de la tentation. Et c’est en refusant la tentation que les personnages iront plus avant dans leur chemin vers la maturité (y compris les plus vieux, en acceptant la vieillesse avec résignation). De ce point de vue-là encore, La Foire aux ténèbres est une réussite, et elle mériterait d’être bien plus connue aujourd’hui.