Film-fleuve d'une beauté sidérante La Folie Almayer reste certainement le long métrage le plus techniquement abouti de la cinéaste Chantal Akerman. L'auteur du chef d'oeuvre Jeanne Dielman opte ici pour une structure radicalement différente de celles de ses précédentes créations, créations conceptuelles souvent réduites à un dispositif hiératique privilégiant la liberté du spectateur ( Hotel Monterey, News From Home, D'Est, Sud, Là-bas...). En effet La Folie Almayer est une oeuvre d'une ampleur et d'une disparité inédites chez la réalisatrice, un film qui s'invente et se réinvente de scène en scène ; fortement sensitif, pétri d'humeurs contrariées et plastiquement magnifique le dernier film de Chantal Akerman peut se lire telle une élégie complexe et principalement rythmique, d'une musicalité permanente.


Dramatiquement cette plongée dans l'intimité d'une famille désarticulée reste un petit sommet de fascination. Entre la présence inquiétante du trop rare Marc Barbé et la composition flamboyante du méconnu Stanislas Merhar La Folie Almayer est un poème incarné, habité, d'une rare puissance imprécatoire. Entre les corps et les visages, le remous des vagues et l'ondoiement des frondaisons Akerman construit son film comme un amas de matière conduisant le récit pathétique de ce père tourmenté, proche de l'antihéros, sublimé par Merhar.


L'acteur subjugue par sa prestance et son énergie, ses propositions régulières et son rejet d'un jeu naturaliste ; sa silhouette anguleuse, son visage empaillé, son timbre fébrile et son instabilité forment un personnage peu ordinaire dans le paysage du cinéma contemporain. Il s'agit donc pour Akerman moins d'imposer une direction univoque que de proposer quelque chose de foncièrement intéressant. La Folie Almayer, film tumultueux et parfois étrangement hypnotique, tient de la recherche créatrice par excellence : une oeuvre à plusieurs niveaux de lecture, généreuse tout en demeurant fortement exigeante et soutenue dans sa durée. Un grand film d'artifices, beau et atypique, annonçant à sa manière un nouveau tournant dans la carrière passionnante de Chantal Akerman.

stebbins
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le 25 sept. 2015

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