Certaines bizarreries demeurent inexplicables. Comment justifier que j’adore ce film alors que les apparentes sommités des années 80 sur un sujet assez similaire (Stand By Me, Breakfast Club) m’irritent au plus haut point ? Mystère.
Peut-être est-ce parce que Ferris est le frère ainé de Parker Lewis et de Malcolm, dont la postérité est immense, et qui ne vieillissent pas dans leur regard sur la jeunesse.
La folle journée propose en effet un rapport au temps tout à fait salvateur : le « day off » du titre original résume à lui seul toute la motivation que trouve la bande d’adolescents à ne rien faire : s’affranchir des obligations, du monde des adultes, réglé selon un agenda morbide, et expérimenté la liberté dans la négation la plus éclatante de la fuite du temps. « Life moves pretty fast », reconnait-on, et l’antidote face à cette assertion est de la prendre de vitesse.
C’est là la grande saveur de l’insolence : construire un temps parallèle, à l’écart de la société, mais toujours en son sein, pour mesurer avec jubilation la provocation qu’il y a à la subvertir. Les témoins de l’univers carcéral du quotidien sont donc toujours là pour rappeler le goût unique de la fugue : un principal qui se fait violence par sa propre rigidité, un père totalement aveugle, une sœur condamnée à suivre de loin le génie de son frère ainé.
L’heure de la revanche a sonné, et celle-ci sera flamboyante, se permettant d’investir le folklore américain (la superbe incruste dans une fanfare pour un Twist and shout d’anthologie) comme des parenthèses plus surprenantes et poétiques (la visite du musée et le gros plan contemplatif sur un Seurat), jouant de la provocation la plus basique comme de confessions plus graves (« What are your interessted in ? - Nothing. - Me neither. »).
La comédie, c’est aussi le ravissement de la chance. Ferris est une star, et quoiqu’il fasse, finit par retomber sur ses pattes. Ce camouflet envoyé à l’institution est une vengeance rutilante de toute la jeunesse contrainte qui fait de lui son héros, maîtrisant le temps, l’espace qu’il traverse à tombeau ouvert dans une décapotable, et franchissant tous les obstacles lors d’un final en forme de parcours du combattant épique.
La grâce, la classe, la casse : toute la flamboyance de la jeunesse résumée en une trajectoire qui ne s’exempt par pourtant d’une certaine lucidité : de la même manière que faire rouler en marche arrière une voiture ne permet pas de faire remonter le compteur kilométrique, le temps est à sens unique.
Seule solution face à lui, en forme de baume et d’élixir de jouvence : revoir La folle journée de Ferris Bueller, avec ses enfants, et leur passer le flambeau de cette et illusoire et flamboyante jeunesse éternelle.
(7.5/10)