Après les cimes atteintes par Les 7 Samouraïs, Kurosawa poursuit dans la veine du film d’aventure historique, mais avec une modestie qui lui permettrait d’éviter l’épuisante aventure du tournage de son chef d’œuvre : intrigue plus resserée, nombre réduit de personnages, les ambitions semblent à la baisse. Le duo de gueux qui ouvre le récit offre un point de vue résolument comique, et cette histoire de princesse à convoyer avec 750 kg d’or a tout du récit bon enfant, multipliant les péripéties et jouant sur des caractères tranchés : les couards félons, le héros dévoué et stratège (Mifune, aux antipodes de son rôle de cabotin des 7 Samouraïs, et toujours aussi convaincant) et la princesse rebelle et garçonne.
On sait que ce film fut l’une des influences pour Lucas et son premier opus de Star Wars : les deux paysans et leur comique à l’origine du duo de robots, ainsi que les intrigues autour d’une princesse déchue par l’invasion d’un ennemi et escortée par des héros au cœur pur. On peut se demander aussi si c’est à Kurosawa qu’il a emprunté son emploi des transitions en fondu latéral, qui jalonnent toute sa filmographie et qui donneront la patte à la saga intergalactique.
Si les développements grotesques occasionnent quelques longueurs dans un récit qui ne cesse de jouer sur les retournements, les alliances et les stratégies face à la course d’obstacle qu’est le parcours des protagonistes, celle-ci est assez foisonnante pour qu’on ne s’ennuie pas un seul instant. La diversité des paysages, filmés admirablement, ajoute au charme de l’ensemble.
Mais c’est surtout dans sa dimension épique que La forteresse cachée impressionne. Alors qu’il semblait moins ambitieux que son illustre prédécesseur, Kurosawa ne se refait pas, et distille quelques séquences d’anthologie qui atteste de sa maitrise, et de sa capacité à hausser n’importe quel sujet vers les sommets du 7ème art.
La scène de mutinerie dans le fort en ruine, dès le premier quart d’heure, visse le spectateur sur son siège, terrassé par ces centaines de figurants descendant un gigantesque escalier au bas duquel les attend des soldats armés. Il en va de même pour la très impressionnante fête du feu, s’articulant sur la même dynamique, consistant à immerger nos héros dans un contexte qui les dépasse, les forçant à se mêler au flot, qu’il soit guerrier ou festif. Doué d’un regard hors-pair, Kurosawa équilibre alors à la perfection le jeu des points de vue, alternant les prises de vues subjectives, du point de vue des protagonistes, et l’omniscience d’un regard en surplomb qui donne tout leur souffle à ces séquences épiques.
Quant à son héros, il lui offre un duel à la lance d’anthologie, d’une durée proprement déraisonnable, et qui fait écho à ces séquences collectives : alors qu’on se perdait dans la foule, celle-ci entoure désormais les adversaires et réagit à chaque coup porté, de la même façon que le décor s’effondre ou les toiles se déchirent sur leur passage.
La versatilité des personnages elle-même va dans les deux sens : si les deux gueux ne cessent d’établir des plans pour servir leurs intérêts propres, la noblesse des combattants et la fierté de la princesse sont génératrices d’une concorde et d’un dénouement qui valorisera la dignité et le sens de l’honneur.
Il est toujours passionnant de voir un génie s’atteler à un film grand public : par le jeu sur les points de vue, par sa force épique et l’épaisseur de ses protagonistes, La forteresse cachée est un récit d’aventure qui allie efficacité narrative et génie visuel. Soit la quintessence du 7ème art.

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Sergent_Pepper
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le 16 janv. 2015

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