Si la définition de film maudit devait être illustrée, "La Forteresse noire" en serait probablement l'exemple le plus parfait. Expérience étrange que cette rencontre avec cette oeuvre décriée par son propre metteur en scène. Au premier visionnage, je ne savais pas trop quoi en penser. Puis je l'ai revu, à plusieurs reprises... Et ma frustration n'en fût que plus grande tellement je constatais sous mes yeux le gâchis d'un film qui aurait pu être une des pierres angulaires du cinéma fantastique des années 1980.
Adapté du roman de Francis Paul Wilson publié en 1981, "The Keep" nous narre la venue de soldats de la Wehrmacht dirigés par le capitaine Woermann (Jürgen Prochnow) juste avant l'opération Barbarossa dans un village roumain en plein coeur des Carpates. Ceux-ci prennent leurs quartiers dans une citadelle inhabitée, ornée de 108 croix supposément faites de nickel. Malgré les avertissements du gardien des lieux, les envahisseurs s'installent dans le bâtiment. Deux d'entre eux cèderont durant la nuit à la cupidité en arrachant une croix au mur, persuadés qu'elle est en argent, et libère une puissance maléfique qui décimera petit à petit tous ceux se trouvant dans l'enceinte de la forteresse. Des renforts menés par l'effroyable major Kaempffer (excellent Gabriel Byrne) arrivent sur place pour traquer des partisans qu'ils croient responsables des pertes dans leurs rangs. Le père Fonescu (Robert Prosky) arrive à convaincre les Allemands de faire appel à un historien juif, le docteur Cuza (génial Ian McKellen), accompagné de sa fille (Alberta Watson) pour déchiffrer un texte inscrit dans la pierre qui pourrait résoudre l'énigme. Au même moment, un homme nommé Glaeken (le toujours aussi classe Scott Glenn) ayant ressenti la présence du démon se dirige vers le village.
Ce qui fait mal au coeur en regardant "The Keep" c'est de voir le potentiel énorme qui s'en dégage. La genèse du film fût parsemée d'embûches (météo désastreuse, problèmes techniques, mort du superviseur des effets visuels Wally Veevers, perfectionnisme exacerbé de Michael Mann,...) Malheureusement ce qui reste des intentions du réalisateur n'est qu'une version plus que tronquée par la Paramount (1h36 au lieu de 3h30 !), ayant pour résultat un montage extrêmement brutal, surtout dans la seconde moitié du film. Et pourtant... Les acteurs sont bons (mention spéciale à Ian McKellen), la musique de Tangerine Dream envoutante (en ce qui me concerne personnellement), certains plans sont d'une beauté ahurissante, les apparitions de Molasar impressionnantes... Mais les coupes drastiques auront raison de la proposition de cinéma de Michael Mann. Le personnage de Glaeken est celui qui en pâtit le plus, ainsi que le sort des villageois et l'histoire d'amour téléphonée avec Eva. D'ailleurs Francis Paul Wilson sera également insatisfait du long-métrage, la fin concernant le couple Glaeken/Eva étant radicalement différente de ses écrits.
Prochainement sortira "A World War II Fairytale: The Making of Michael Mann's The Keep", financé en partie par le crowdfunding et qui reviendra sur l'histoire du diamant noir de Michael Mann. Pour l'heure introuvable en DVD ou Bluray, cette relecture du mythe de Faust (pour rappel le pacte avec le diable) reste malgré tout fascinante de par son propos (l'adage est-ce que la fin justifie les moyens prend ici tout son sens), sa mise en scène aérienne et son destin maudit qui achèvent de statuer l'aura culte de la seule incursion de l'esthète Mann dans le genre fantastique.