La Frappe
6.9
La Frappe

Film de Yoon Sung-Hyun (2011)

La Frappe porte bien son nom.

Douloureux quand l'impact arrive, quand les éclats de rire adolescents vous humilient.

Une brève parenthèse et des pages qui se déchirent.

Ce film est le film de toutes les adolescences, de cet âge ingrat où l'on est soi-même plus conscient que le collégien et plus faible que l'adulte accompli.

Les tribulations d'un trio d'élèves en classe de terminale en Corée nous tiennent en haleine pendant près de deux heures, deux heures qui valent franchement le coup si vous voulez mon avis.

Au sein de ce trio, d'abord un duo de deux meilleurs amis d'enfance ; puis un troisième larron qui vient se greffer au tout.

Trois personnalités bien distinctes : Ki-Tae, le meneur de bande un brin dérangé.

Becky (Hee-Joon), l'idiot pas si idiot que ça au tempérament le plus lisse et facile, le plus cool quoi.

Et Dong-Yoon, le plus sage, le plus civil, l'autre meneur ou l'autre face de la pièce.

Ki-Tae gratte, Ki-Tae malmène ses petits camarades de classe, Ki-Tae jette son dévolu sur Becky.

Ki-Tae lui colle quelques gifles, quelques beignes aussi, Ki-Tae souffle le chaud et le froid.

Ki-Tae cherche la merde.

Becky encaisse, Becky ne dit rien mais n'en pense pas moins, Becky reste cool et garde la face : il sait qui est qui.

Dong-Yoon suit tout ça de près. Vigilant, bientôt il s'interpose et va défier le fauteur de trouble. Magnanime et tempéré il puise jusque dans son courage et son sens inné de la morale, sa bonne nature, la force d'aller au bout des choses. Quitte à en finir vidé. À définitivement faire sauter les derniers verrous de cette histoire malsaine.

Car c'est bien de cela dont nous causons ici : c'est malsain, ce jeu.

Pourtant tout n'a pas toujours été comme ça, il y a peu nos trois amis jouaient au baseball sur les rails des chemins de fer. Comme tous les ados du monde, ils se charriaient et s'insultaient pour se dire sans se le dire qu'ils s'apprécient, ils taillaient le bout de gras et parlaient des meufs. Quelle autre occupation ? On s'en fout, on fume des clopes et on glousse, parfois plus ou moins fort. C'est ce qu'on fait tous au lycée, pas plus pas moins, en Corée ou pas en Corée.

Un moment, nos trois compères filent en week-end avec trois nanas de leur classe, plutôt pas trop moches et qui gloussent aussi dans leur genre.

Tout le monde se zyeute l'air de rien, on parle le même langage et on suit les mêmes vieux principes : avoir l'air cool et détaché, sourire quand il faut, envoyer des vannes quand il le faut, draguer quand il le faut, jamais trop pour ne pas éveiller les soupçons et surtout pour ne pas se faire tailler en retour par le reste de la bande - ces gros vautours qui ne vous attendront pas pour se moquer de votre coeur en guimauve.

Les dialogues sont tellement justes, les acteurs n'en parlons pas, c'est vraiment excellent.

À cet âge, on parle tous comme ces ados parlent, on regarde tous les filles en coin de cette façon, on a presque tous, en fonction des sensibilités, ce besoin d'exister et de se montrer.

La mise en scène - puisqu'il faut bien parler de cinéma et décidément j'ai du mal - est sobre et astucieuse. Un incroyable suivi en zig et en zag caméra à l'épaule lorsque Becky se fait chourrer son sac, des plans rapprochés très intimistes lorsque l'humiliation opère tout en douceur, que ce soit dans les couloirs ou dans les salles de classe, dans les vieux wagons abandonnés ou autour de la vieille table du salon passé deux heures du mat'.

Une photographie pure et sans chichi, avec un très beau travail des gris et couleurs froides, le tout donnant une sensation d'épure qui jamais ne brise l'aspérité radicale de l'oeuvre. À l'image de l'affiche du film en fait, pudique et intérieure, retenue, tout juste triste voire effrayante je trouve. Le temps qui passe au lycée et les souvenirs qui en remontent sont parfois tristes à en crever. Tristes car tout ça c'est fini, oublié et rangé dans la boîte à jouets. Essayez donc de remettre la main sur vos vieux jouets d'enfance, moi ça me tire un sourire candide mais ça m'extermine surtout de tristesse. Intérieurement, bien sûr, mais cette doucerette sensation du temps qui passe et ne repassera plus me broie chaque fois dans tout mon être, dans tout mon ventre où les papillons s'envolent par centaines sans se retourner de par devers moi. C'est horrible.

Du moins c'est comme ça que je le vois.

La musique est ce qu'elle est ou plutôt ce qu'elle doit être ici, une musique d'ambiance qui laisse la part belle à l'image et aux dialogues. Jamais hors-thème et toujours au service du propos, de bout en bout. Les silences sont à cet égard mûrement choisis et décisifs dans force scènes, que c'est appréciable.

Oui que c'est appréciable de vivre et d'avoir la chance de voir un tel film.

Une boucle finissant toujours par se boucler toute seule, j'ai eu la chance et l'heureuse ironie de lire sur la quatrième de couverture que le jeune réalisateur de ce film l'avait tourné à 29 ans pour un budget de 50.000 USD, le tout en s'inspirant de... L'Attrape-coeurs de Salinger.

Je ne lis jamais les synopsis et dans ce cas précis, cela a simplement été la petite cerise sur le gâteau.

Ce film est un chef d'oeuvre. Les ultimes plans sont magnifiques, drapés à fond de la vibe de l'Attrape-coeurs, c'était pour me plaire tout ça.

En tout cas, ce film m'a marqué, et c'est génial.

Alors à qui le tour de la frappe ?

Tupeuxtebrosser
8
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le 6 mars 2023

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Tupeuxtebrosser

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