Du vrai cinéma populaire de qualité comme on n'en a plus en France
Qu'il est réjouissant de revoir en France un cinéma de qualité populaire et ambitieux. Avec "La French" , Cédric Jimenez renoue avec l'exigence des films policiers et politiques français des années 70 (Alain Corneau, Yves Boisset, Costa-Gavras) et rejoint les dernières oeuvres ambitieuses de ce genre tel que le dyptique "Mesrine" de Jean-François Richet.
La première qualité du film qui saute aux yeux, c'est son souci de réalisme et d'authenticité, grâce à une reconstitution parfaite (décors, costumes, bande originale) qui immerge le spectateur dès l'ouverture dans l'ambiance marseillaise de l'époque. La mise en scène colle au plus près de ses personnages, alterne les reconstitutions quasi-documentaires (caméras portés à l'épaule) et les plans spectaculaires, réussis, (dont la scène d'ouverture) soulignée par une belle photo et un montage sec, précis et dynamique.
Bien sûr la forme n'est pas la principale qualité d'exigence du réalisateur, mais contribue fortement à la réussite de l'entreprise.
Ce que Cédric Jimenez réussit, c'est à nous emporter, à accrocher notre attention de façon progressive et de façon puissante, mêlant habilement enquête policière (merveilleusement documentée - hors libertés prisent avec les faits réels) et vie personnelle des deux principaux personnages. Certain(e)s pourront reprocher à Jimenez sont penchant pour le mélodrame, mais force est de constater qu'en mariant les deux genres, il a su touché mon cœur de cinéphile averti. En cela, il rejoint le force des grands films américains du même genre ( Scorsese, Mann, Lumet, etc) sans trahir l'esprit français du film. J'ai donc verser des larmes plusieurs fois.
Grâce à cette équilibre et maîtrise intelligente de l'écriture, les personnages sont d'autant plus forts et profondément proches de nous. Il évite l'écueil manichéen et cliché de l'opposition du bien et du mal qu'appelait un tel sujet. D'ailleurs, pas de morale bien pensante, le soucis de Jimenez c'est de nous montrer, de conter un fait réel "extraordinaire" à dimension humaine.
Oubliez la polémique naissante sur les libertés prisent avec certains détails de la vie du juge Pierre Michel et Tony Zampa (leur confrontation n'a jamais eu lieu, Michel n'a jamais été un dépendant du jeu, illégalité de certaines procédures judiciaires, les flics pourris, la séparation provisoire du juge et de son épouse, etc), car elles apportent une dimension supplémentaire au film et le rendent éminemment cinématographique et haletant.
Y a t'il pour autant tromperie sur la marchandise ? Non. Car l'essentiel est là, passionnant: la lutte du juge contre "La French" et Tony Zampa, chef du milieu Marseillais. Sa dimension politique également - la corruption qu'elle met en exergue au plus haut sommet de l'état. Puis ce qui est le centre du film: l'affrontement entre les deux personnages qui est au niveau du jeu charismatique et puissant de Dujardin et Lellouche:
- Jean Dujardin (Michel) impressionne et touche profondément en juge obstiné, mue par un haut idéal de justice, confirme son statut de grand acteur.
- Quant à Gilles Lellouche, en Tony Zampa, il m'a carrément "bluffé" et étonné. De son jeu, se dégage une autorité, une violence et une puissance qui va bien au-delà de ce que demande le rôle. Inspiré ? C'est d'une évidence frappante. Il se hisse au niveau des Lino, des Gabin, des Delon, etc... Espérons que la suite de sa carrière confirme cette qualité de jeu.
Bien sûr, Dujardin et Lellouche portent le film, mais tous les seconds rôles font du travail d'orfèvre (Guillaume Gouix, Bernard Blancan, Feodor Atkine - très convaincant en Gaston Deferre -, Gérard Meylan, Patrick Descamps) malgré une réserve sur le jeu de Benoît Magimel - sous employé. Les femmes de Michel et Zampa jouent aussi un rôle important, même si leur rôle n'est pas essentiel à la compréhension de l'histoire. Leur présence apporte cette force sensible qui caractérise le film et permet d'ajouter une dimension psychologique supplémentaire pour comprendre les forces et les faiblesses de ce combat homérique entre Michel et Zampa. Céline Salette (l'épouse du juge Michel) illumine l'écran de sa beauté simple et de son jeu profond et subtil.
En somme, une excellente surprise à la hauteur de mes attentes. Rendez-vous aux César 2015.