Et pour quelques mètres de plus...
En Avril 1953, trois mois avant la fin du conflit et l'armistice du 27 Juillet, se joue le long de la frontière coréenne entre les deux belligérants, un étrange manège qu'on jugerait aisément d'amoral : pendant que sont réunis autour de la table des négociations les principaux chefs militaires des deux camps, se font massacrer à quelques kilomètres de là, des centaines de soldats alliés et communistes pour le contrôle d'une colline. Mascarade d'autant plus macabre que la colline en question (Pork Chop Hill) n'a de valeur stratégique que celle que la politique lui confère ; ni l'armée américaine, ni son adversaire soviétique n'en donneraient même pour un sou. Mais sur l'échiquier politique de demain, et l'accord de paix qui s'apprête à être signé (et qui ne le sera finalement pas avant des mois), c'est bien la détermination des deux blocs à ne pas céder aux revendications de l'autre qui est sondée. Si peu et tellement à la fois pour cet insignifiant monticule de terre.
Le film suit les assauts répétés et meurtriers du Lieutenant Joe Clemons et de sa compagnie d'infanterie "King" le long des flancs de Pork Chop Hill, puis leur résistance éphémère et acharnée au sommet du dôme ensanglanté sous le feu nourri de l'armée communiste et les beuglements incessants d'un speaker chinois, et leur états d'âme quant aux exactions du haut commandement et l'avancée des pourparlers à Panmunjom où sont attablés les représentants des deux forces en action : seront-ils les premiers à fêter la fin de la guerre au matin ou les derniers à en faire les frais cette nuit?
Pork Chop Hill est le dernier film de Lewis Milestone dans le genre qui lui donna ses galons (on pense évidemment à son chef d'oeuvre All Quiet on the Western Front mais également à Halls of Montezuma et son méconnu They who dare), Il fuyait pourtant la guerre comme la peste et ne pouvait s'empêcher d'en condamner la folie et l'absurdité, mais y voyait l'opportunité de véhiculer, comme son ami Steinbeck dont il était devenu le réalisateur attitré (il a adapté ses nouvelles Of Mice and Men et The Red Pony), ses idées pacifistes, humanistes et universelles. Pork Chop Hill ne déroge pas à la règle et a en outre le mérite de mettre en lumière un épisode de la guerre de Corée resté dans l'oubli. Car comme nous le dit la fin du film, malgré l'importante mais dérisoire victoire américaine, il n'existe aucun lieu de commémoration ni aucun monument aux morts de Pork Chop Hill si ce n'est le livre du Brigadier Général S. L. A. Marshall dont le film est une adaptation.
Pour seconder Milestone dans son souci de réalisme et aiguiller Gregory Peck, qui interprète son rôle, dans son jeu et notamment quant aux émotions qui le submergèrent alors, le vrai Joe Clemons fut engagé par United Artists sur le film en tant que conseiller technique exceptionnel. Et cela se ressent à l'écran : et la réussite technique et l'authenticité de l'ensemble de la distribution peuvent être mis à son compte. En partie. Car le savoir-faire de Milestone et l'implication de son acteur principal sont y également pour beaucoup. Le style documentaire fait mouche, le noir et blanc est très soigné et la mise en scène du premier très cohérente. Quant à Gregory Peck, il est une fois de plus remarquable dans un nouveau numéro d'homme vertueux et loyal confronté à la cruauté des hommes. Sans l'intervention inopinée de sa femme (de l'année 1967) Veronique Peck et son irruption dans les bureaux de la United Artists et la salle de montage de George Boemler, objectant que son mari n'entrait en scène que trop tard dans le film, Pork Chop Hill aurait duré vingt minutes de plus. Dommage car les quatre-vingt dix-sept minutes auxquelles on a droit sont géniales.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.