Le plaisir de mourir
(Attention, critique susceptible de contenir des spoilers) Marco Ferreri est un réalisateur que j'admire beaucoup, tout autant pour sa détermination à dépasser sans cesse les frontières posées...
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le 29 oct. 2010
65 j'aime
3
Ce film est dégoûtant. Imaginez quatre amis, haut-placés et estimés par la société : juge, pilote, réalisateur et cuisiner de renom. Quatre épicuriens, amateurs de bonne chair, d’une certaine sensibilité artistique ou encore représentants d’une autorité juridique, en bref, jouissant d’une aisance sociale considérable. Ceux-ci décident de mettre fin à leurs jours dans le cadre d’un petit « séminaire gastronomique », en mangeant les plats les plus raffinés jusqu’à ce que mort s’ensuive.
J’ai eu faim au début, c’est vrai. J’ai regardé le film le ventre vide, mais cette opulence laisse très vite place à la déplaisance face au spectacle de ces voraces, aspirant la chair des huîtres dans un éloquent bruit de succion. On étouffe vite dans l’atmosphère surréaliste de ce huis-clos, semblable à un mauvais rêve ou à une peinture dont on ne peut plus sortir… Tout nous asphyxie dans ce décor sombre et trop chargé, ce trop-plein de nourriture, ces mêmes notes de musique lancinantes qui reviennent en boucle, cette promiscuité répétée des corps, ces courtisanes que l’on effleure, caresse, tripote et malaxe en toute occasion sans vergogne… bref, cette sensualité exacerbée qui finit par offenser chacun de nos sens ! Ferreri nous prend aux tripes, bien joué.
J’ai aimé l’humour noir, présent vers la fin du film. Le spectateur se retrouve à rire (jaune) du désespoir de ces empotés, gauches et découragés nageant littéralement dans leur propre caca suite à l’explosion des toilettes. Et la mort se manifeste, tragique et comique à la fois pour Marcello mort de froid dans la solitude de son bolide de luxe, pour Philippe qui, enfin seul avec sa promise, culpabilise sur son bonheur tout frais et finit par suivre ses trois compagnons dans leur trépas. Finalement, je retiendrai surtout la mort de Michel, qui après un long périple jalonné de souffrances intestinales, succombe dans un dernier pet, interminable et magistral. C’est cette lamentation, ce dernier soupir, ce cri déchirant et grotesque du fond de ses entrailles qui finira par le libérer de son éducation stricte et de toute emprise sociale.
Enfin, je ne dois pas être la seule à m’être interrogée : « qui est Aurora ? » Cette nymphe aux allures de Venus d’Urbino m’a mise mal à l’aise tout au long de l’œuvre ; d’abord parce que je craignais qu’elle ne trouve pas sa place dans ce milieu d’intriguants, puis lorsqu’elle a décidé de rester parmi les candidats au suicide, encourageant chacune des victimes de l’ennui pascalien dans leur vice. Son rôle est ambigu : omniprésence, voyeurisme, exhibitionnisme. Pourtant, elle survit à tous, et contrastant avec la constance de sa gourmandise et de sa luxure, elle finit par abandonner la deuxième livraison de victuailles aux chiens attroupés devant le manoir lorsqu’elle se retrouve seule. Elle reprend sa tenue sobre, et peut-être finira-t-elle par reprendre tout simplement son rôle d’institutrice joviale et innocente après avoir assisté à ce suicide collectif ?
Vanité, tout est vanité.
Créée
le 24 mars 2015
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