S’il est un art que les cinéastes italiens maitrisent sur le bout des doigts c’est celui de la comédie dramatique. Certains d’entre eux, comme Mario Monicelli, Dino Risi, ou Ettore Scola, ne parviennent pas à aborder un sujet sérieux sans en rire. Il faut toujours qu’il rajoute du ridicule dans le tragique, le protestataire, voir même le macabre. L’expression « mieux vaut en rire qu’en pleurer » pourrait résumer leur crédo. Et si on en riait et pleurait en même temps ? Certains ont essayés, mais la difficulté de cet exercice repose sur le dosage de ces deux effets antagonistes. Ainsi la balance penche souvent d’un côté ou de l’autre, et d’une certaine façon, nous pouvons affirmer qu’il existe peu de comédie dramatique pure et dure.
Mario Monicelli fait partie des quelques élus ayant réussi cette épreuve d’équilibrisme. Et de splendide manière ! Avec La Grande Guerre Monicelli nous livre une vraie comédie à travers le récit des pérégrinations de deux bidasses couards mais astucieux, et bien déterminés à en faire le moins possible pour vaincre l’ennemi autrichien. C’est de bon cœur que nous rions de la malchance des deux compères d’infortune, de leur incroyable inventivité pour esquiver une patrouille ou récolter de quoi mettre un peu de sel dans le morne quotidien des tranchées.
Mais avec La Grande Guerre Monicelli nous livre un vrai drame à travers la description déchirante des horreurs de la guerre. Les compagnons morts et les veuves éplorées côtoient nos deux tire-au-flanc sans que jamais ne se crée un sentiment d’incompatibilité. Les évènements et les registre s’alternent de manière tout à fait naturelle, et c’est là tout l’art du dosage et le génie de Mario Monicelli.
Non content de pondre la comédie dramatique parfaite Monicelli se paie le luxe de réaliser un film à grand spectacle. Les scènes de combat sont impressionnantes et très immersives, en particulier la scène finale, une splendide charge de tout un bataillon dans les vertes collines du nord-est de l’Italie. Et ça vient du cinéma italien des années 50, de quoi ringardiser les vieux briscards du classique Hollywood que sont John Ford et Raoul Walsh.
Cependant tout ça ne resterait qu’à l’état d’exercice de style impeccablement réussi s’il n’y avait pas un sens profond derrière cette histoire. Monicelli s’efforce de déconstruire l’image romantique de la guerre et le mythe du héros. Ce n’est pas le premier à le faire, et ce sera loin d’être le dernier. Mais lui a la petite idée en plus. Il nous propose sa propre vision de ce qu’est un héros. Un héros ce n’est pas le courageux soldat qui monte au front le couteau entre les dents pour trancher les gorges de ses homologues, ni le pilote qui s’obstine à bombarder une usine d’armement alors que son appareil est en feu. Le héros ne sait pas lui-même qu’il en est un, et personne ne le saura sans doute jamais, mais le moment venu, il saura quoi faire.