Quel fourbe ce Renoir. Avec la grande illusion, il embobine son monde. Voyez plutôt : dans ce film de prison en temps de guerre, à aucun moment le bougre ne joue avec les codes des deux genres. Pour lui, la guerre n’est qu’un prétexte et la prison un lieu d’échange visant à donner du poids au sujet qui le préoccupe : les frontières qui divisent les hommes et les circonstances qui les effacent parfois, même de manière éphémère.


Il y a fort à parier que celui qui lancera le film pour y trouver le précurseur du film de Sturges — auquel on pense forcément lorsque les prisonniers vident leurs poches en pleine partie de jardinage — ou la fougue quasi documentaire d’une œuvre telle que la 317ème section, se sentira un brin trompé. Et pourtant, La grande illusion est une sacrée péloche, une œuvre profondément humaniste qui compense son écriture fantaisiste par une belle densité émotionnelle qui se construit dans la durée. Sans jamais diaboliser un camp ou l’autre —pour un film sur la première guerre mondiale, encore vive dans les esprits, c’est plutôt courageux —, Renoir choisit d’illustrer la condition humaine dans ce qu’elle a de plus universelle, à savoir son clivage en zones sociales qui, même entre ennemis, rapproche les soldats, parfois davantage que leurs pays d’origine.


La grande illusion est un portrait d’hommes prenant, qui trouve sa puissance symbolique dans l’écriture volontairement naïve de ses différents personnages. Les acteurs peuvent alors s’effacer — Gabin paraît parfois un peu moins magnétique qu’à l’accoutumée —, leurs dialogues étant si puissants qu’ils les éclipsent parfois, fortement au début du film, lors de l’arrivée dans la première prison des officiers — les parties de rigolade entre copains étant limite surjouées —, et un peu moins au fur et à mesure que le sablier s'égraine et que le réalisme reprend ses droits.


Si son humanisme radical pourra diviser parce qu’il amène La grande illusion dans les eaux troubles de l’utopie à diverses reprises, il n’en reste pas moins que les hommes qui y sont dépeints parviennent à toucher à de multiples reprises et que l’aventure à laquelle ils prêtent leurs traits, passionnante à bien des égards, suffira à captiver l’attention d’un auditoire qui ne pourra quitter son siège avant de savoir à quelle sauce vont être mangés les pauvres bougres qu’il a pris en sympathie.

oso
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le 16 nov. 2015

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oso

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