Blockbuster bridé
Jusqu'ici, ce n'était que par l'apparition quelque peu incongrue du nom d'un grand groupe (Alibaba, au hasard), juste avant la première scène d'un film, le paiement faste des services d'un...
le 14 janv. 2017
72 j'aime
12
Jusqu'ici, ce n'était que par l'apparition quelque peu incongrue du nom d'un grand groupe (Alibaba, au hasard), juste avant la première scène d'un film, le paiement faste des services d'un réalisateur reconnu (Jean-Jacques Annaud pour Le Dernier Loup), ou encore une escapade délocalisée en terre orientale (L'Ere d'Ultron) que l'on pouvait mesurer l'influence grandissante de la Chine, nouvel eldorado encore vierge, nouvelles parts d'un marché en expansion, nouveaux billets verts à moissonner.
La Grande Muraille représente aujourd'hui une nouvelle marche sur cet escalier : la production de sang mêlé. Ou comment s'emparer d'une culture pour la remâcher et faire en sorte que les oeuvres qui en émergent soient en capacité de plaire à tous les publics. Une internationale de la culture, en quelque sorte. Pour le meilleur ?
Car La Grande Muraille, même si je ne m'attendais pas à un grand film, semblait promettre, au moins, d'en mettre plein la vue et de porter son grand spectacle furieux, mâtiné de fresque épique en armure entre les mains d'un Zhang Yimou familier du genre. Le sentiment, à la sortie de la salle, est cependant un peu plus réaliste et terre à terre. Car entre temps, le spectateur a pu se rendre compte, de manière assez malheureuse, que la quasi intégralité de l'action déployée dans la bande annonce est tirée de la première scène de bataille sur la muraille de Chine. Nerveuse, assez spectaculaire, donnant un superbe ballet d'armures, certes aux couleurs criardes très sentaï assez hors sujet, elle fait le job en procurant un léger frisson et l'envie, surtout, d'en voir plus pendant l'heure et demi qui reste à projeter. Mais, mis à part un climax en demi-teinte, il n'y aura presque plus rien. Quelques scories, tout au plus, en plein brouillard. Et quelques cabrioles, quelques tirs à l'arc.
Alors même que l'on brûlait d'envie de revoir un autre assaut monstrueux, de voir ces incroyables voltigeuses en pleine action en mode go pro archi spectaculaires et iconiques, d'autres moyens de défense secrets de la muraille ou je ne sais pas, moi, de cavalcades désespérées sur le long ruban serpentant. Hélas, la furie guerrière fait quelques pas de côté, ne laissant que quelques jolies images en guise de souvenirs, comme ces ballons s'envolant dans le ciel, comme une autre possibilité d'action qui s'enfuit. L'aspect le plus reconnaissable des films chinois cède ainsi le terrain à toutes les tares d'écritures des blockbusters américains, avec une sous-intrigue à base de fuite inintéressante, un vilain sans saveur, le sempiternel esprit de ruche de la meute de monstres et la totale absence d'enjeux d'un dernier acte inepte, chaotique et fortement heurté dans l'agencement de ces événements et dans le montage. Jusqu'à penser que l'heure quarante de film a dû subir beaucoup de coupes sombres.
Tout cela laisse l'impression d'un produit anonyme - Zhang Yimou est ici bien loin - qui n'est pas honteux en lui même mais qui donne l'impression d'être totalement bridé, jamais totalement assumé dans l'aspect série B déglinguée qu'il aurait pu afficher. Jusqu'à en devenir tiède et sans grande saveur, stérilisé selon la procédure Ultra Haute Température, à l'identique du lait Candia, comme si la production désormais internationalisée avait une frousse bleue de faire naître une quelconque émotion, liée à la satisfaction ou, au contraire, au rejet.
La Grande Muraille n'ennuie pas, certes. La Grande Muraille est assez bien nantie, financièrement parlant, pour repaître l'oeil avide de quelques jolis décors montagneux, de jolies armures en action, de milliers de monstres animés par un logiciel de type Massive pour incarner la menace. Encore heureux. Mais cette norme panculturalisée, à quoi sert-elle si elle n'accouche que d'une désespérante qualité moyenne vide et désincarnée ? Car si ce nouveau genre de film ne compte que sur la découverte de quelques visages de porcelaine de jolies orientales, comme Jing Tian, qui a ravi le coeur de Behind, pas sûr que cela tienne longtemps la route.
La mondialisation et l'uniformisation du goût ont peut être trouvé ici leurs limites.
Behind_the_Mask, qui est pour le rétablissement des frontières.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Une année au cinéma : 2017
Créée
le 14 janv. 2017
Critique lue 3.1K fois
72 j'aime
12 commentaires
D'autres avis sur La Grande Muraille
Jusqu'ici, ce n'était que par l'apparition quelque peu incongrue du nom d'un grand groupe (Alibaba, au hasard), juste avant la première scène d'un film, le paiement faste des services d'un...
le 14 janv. 2017
72 j'aime
12
La Grande Muraille a trouvé sa place entre Pacific Rim, BattleShip et le dernier Godzilla, dans mon temple très personnel des films bousesques et jouissifs. Matt Damon sauve la Chine et le monde en...
Par
le 12 janv. 2017
31 j'aime
2
Seuls rescapés d’un groupe d’aventuriers européens venus en Chine chercher la mystérieuse poudre noire, une arme mythique qui y est fabriquée, William Garin (Matt Damon) et Pero Tovar (Pedro Pascal)...
Par
le 18 janv. 2017
30 j'aime
1
Du même critique
Le succès tient à peu de choses, parfois. C'était il y a dix ans. Un réalisateur et un acteur charismatique, dont les traits ont servi de support dans les pages Marvel en version Ultimates. Un éclat...
le 25 avr. 2018
205 j'aime
54
˗ Dis Luke ! ˗ ... ˗ Hé ! Luke... ˗ ... ˗ Dis Luke, c'est quoi la Force ? ˗ TA GUEULE ! Laisse-moi tranquille ! ˗ Mais... Mais... Luke, je suis ton padawan ? ˗ Pfff... La Force. Vous commencez à tous...
le 13 déc. 2017
193 j'aime
39
Le corps ne suit plus. Il est haletant, en souffrance, cassé. Il reste parfois assommé, fourbu, sous les coups de ses adversaires. Chaque geste lui coûte et semble de plus en plus lourd. Ses plaies,...
le 2 mars 2017
186 j'aime
25