Hubert, Vinz' et Saïd, c'est la France black-blanc-beur trois ans avant l'heure. Celle de la fraternité factice du vingt heures sur les Champs Elysées qui fait beau à la une des journaux et dont on se ravit naïvement. C'est aussi la France black-blanc-beur d'avant la racaille et le kärcher.
Les tribulations des trois demi-sels un peu branleurs sont filmées sous le signe du désoeuvrement , la vie quotidienne du quartier rythmée par les rixes et les descentes de police. Un peu de caricature, on ne peut croire que des flics puissent agir de la sorte. Vincent Cassel surjoue, la réalité vacille mais la véracité l'emporte, ainsi que la croyance en une seule loi, celle du talion. Une vie pour une vie. Une balle qui répond à une autre. Dérive d'une jeunesse sans repères laissée pour compte. La violence des mots anticipe la violence des actes et les débordements secs et tranchants et sans retour qui dérapent dans les dernières secondes du film. Voix off qui tire un état des lieux. Rideau. Et fin.
Le monde a beau vous être offert, comme dans la pub 4 par 3 de Séguéla la Rolex au poignet, certains ont reçu une plus grosse part que d'autres. L'énergie rageuse de ces jeunes est intacte encore aujourd'hui, comme celle de Mathieu Kassovitz qui prend la société par le col dans un accès de colère en lui disant "Regarde ce que tu as fait". Elle se plaint et joue les outragées quand la rebellion éclate. Elle n'a fait que la nourrir de son lait empoisonné à l'exclusion et à la lâcheté politique. Si on fait référence au monstrueux cyclope du FN dans le film, on ne dit pas que droite comme gauche participent de la même manière à cette ségrégation. L'alternance n'y a rien changé.
Kassovitz était en avance sur son temps, noir augure qui lisait dans les tripes étalées du béton de la cité. Car vingt ans ont passé aujourd'hui et rien n'a changé. Ca empire. Au point de faire passer la provoc' du réalisateur pour le doigt d'honneur timide d'un gamin d'une famille catho qui refuse de mettre son habit du dimanche. Ses héros, quant à eux, font presque figure d'enfants de choeur en 2015. L'énergie rageuse du réalisateur est toujours là. Pas de doute. Mais là où le simple pétard d'un flic assurait le spectacle et la reconnaissance de celui qui le tenait entre ses mains, les règlements de comptes et les armes lourdes se sont chargés de faire monter la température.
Mais jusqu'ici, vingt ans après, alors qu'une génération est passée, on continue de se dire, comme pour se persuader, que pour le moment, tout va bien.
Behind_the_Mask, inquiet.