Cinq ans avant « La Belle » (1969), Vika (Lina Braknytė) apparaît comme une grande sœur potentielle de la petite Inga (Inga Mickyte) : même silhouette vive, blonde, aérienne, légère et court vêtue. La jeune héroïne vit son dernier jour de vacances dans la maison de son grand-père (Kalju Karmas), sur les rives de la Mer Noire, au pied du Mont Kara Dag. Mais la présence maternelle, essentielle dans « La Belle », est ici radicalement gommée au profit d’une double incarnation masculine adulte, celle du grand-père, donc, et du père (Bronius Babkauskas), qui doit venir rechercher sa fille « unique et adorée » en cette fin d’été.
Trouvant dans le filmage des enfants un moyen de contourner la censure soviétique, Arūnas Zebriūnas, également co-scénariste, campe une figure orphique, qui sait parler à la nature et à qui la nature répond. Vika a pour terrain de jeu l’eau, les rochers, et le sable de la plage pour cadran solaire. Pareille à l’Eve d’Autun, elle se glisse, serpente, va et vient constamment entre l’air, chargé de soleil et de vent, et l’eau, dans laquelle elle plonge aussi bien totalement nue que totalement habillée, tordant ensuite sa robe directement sur elle. Le réalisateur lituanien, doublé d’un chef opérateur virtuose, Jonas Gricius, excelle à filmer une nature qui semble fêter la jeune nymphe, une nature magique, transfigurée par le regard de l’enfance : miroitements de l’eau qui scintille comme autant de pierreries, expressivité des rochers abrupts qui descendent verticalement vers la mer. Car Vika a un secret, qu’elle sera tentée de partager avec un nouveau-venu, Romas (Valeri Zoubarev) : elle sait éveiller l’écho de ces roches altières et menaçantes, qui jouent avec elle à créer une symphonie de sons.
De même que le nouvel habitant, dans « La Belle », faisait effraction dans l’univers préservé dont Inga était la reine, le jeune vacancier jettera un pont entre la solitaire jeune fille et un groupe de garçons volontiers agressifs qui, délibérément aveugles, se laissent gouverner par un chef auto-proclamé et tricheur. À l’opposé de Vika et de ses célébrations dionysiaques, accompagnées par le chant de l’eau ou l’écho des montagnes, leur approche est annoncée par le son d’un transistor qui diffuse une musique urbaine et semble importer sur ces rives intactes leur loi de la jungle. Malgré leur jeunesse, ils figurent déjà le monde des hommes, un monde de pouvoir et d’abus, un monde dans lequel, comme le fait judicieusement remarquer Romas, « Qui ne voudrait pas être chef ? ». Comment s’étonner, dès lors, que la montagne se refuse à leur parler, à leur renvoyer son écho, comme elle le fera également au père de Vika ? Alors qu’elle consentira à jouer avec les jappements de son grand chien... Et comment s’étonner que seule la trahison puisse jaillir de l’hésitation qui partagera Romas entre sa féminine complice et le groupe des jeunes petits mâles ? Il n’est sans doute pas un hasard que, pareille à la nymphe Echo, Vika disparaisse dans la scène qui présente Romas se penchant sur une mare et s’y mirant pour se recoiffer ; ce sera bien son narcissisme de petit mâle voulant rejoindre ses semblables qui l’amènera à perdre irrémédiablement son initiatrice...
Une nouvelle fois, Arūnas Zebriūnas apparaît non seulement comme le cinéaste de l’enfance, de sa magie et de sa gravité, mais aussi comme un réalisateur incroyablement féministe, accordant à la femme, même encore petite, un rôle de médiatrice.