RotoChlopi (e)
En plein cœur du tsunami créé par la sortie de Dune 2, qui a entre autre permis de redéfinir la passionnante question de l'importance respective de la forme et du fond au cinéma, "La jeune fille et...
Par
le 20 mars 2024
27 j'aime
3
Après le retentissement de La Passion Van Gogh, DK et Hugh Welchman ont souhaité mettre leur technique visuelle mélangeant peinture et animation au service d’un récit plus strictement romanesque. Le couple adapte ainsi un grand classique de la littérature polonaise (Les Paysans, de Władysław Reymont), évoquant, à la manière de La Terre de Zola, la vie du monde rural au rythme des saisons et la violence d’un milieu où la tradition ne souffre aucun écart.
La rotoscopie, consistant ici à peindre par-dessus des prises de vues réelles, notamment pour tout ce qui concerne les visages des comédiens, exigera peut-être un petit temps d’adaptation, soulevant notamment la question de l’intérêt à appliquer des couches de peinture tout en gardant le réalisme du film originel. La réponse s’impose dans un premier temps par le traitement de tout ce qui entoure les personnages, dans un récit rythmé par les 4 saisons, par l’entremise de superbes transitions attestant des métamorphoses de la nature environnante. Les champs, forêts, rivières et chaumières, vivier et matière première du monde paysan, s’animent ainsi d’une vie propre, profuse, variant sous les climats changeants de la fertilité à l’hostilité, burinant les peaux et harassant les travailleurs dont on comprend mieux la vigueur, la puissance et la ténacité, mais aussi la brutalité.
Le recours à la peinture, animée en accord avec les artistes de l’époque évoquée, permet ainsi une exacerbation des enjeux romanesques, et en osmose avec une musique hypnotique, donne au récit une impressionnante ampleur. Le destin de Jagna, femme libre, convoitée, jalousée, possédée, abîmée, suit les contorsions d’un trait fluctuant, chargé de couleurs vives et d’un dynamisme impossible à contenir.
La violence des passions les plus élémentaires – désir, convoitise, avarice, vengeance, se coule alors dans une vie rythmée par le labeur et un folklore qui, loin d’offrir un répit aux villageois, exacerbe les tensions. Les fêtes, sous les flots d’alcool et une musique rythmée en diable explosent alors en catharsis flamboyantes, où les travelings circulaires quittent un temps les visages possédés par l’euphorie pour aller colorer la nuit froide des étreintes passionnées avant que l’incendie des corps ne se propage en destruction générale.
La jeune fille et les paysans n’a pas l’ambition de revisiter un classique – si ce n’est, de l’aveu des créateurs, en insistant sur un angle plus féminin, voire féministe, que dans le matériau originel approchant les 1000 pages. Il s’agit au contraire d’embrasser un folklore et d’intégrer un monde révolu, représenté autrefois par l’art pictural, et de lui donner vie en y insufflant mouvement et musique. Entre le lyrisme des récits fondateurs et la fascination pour une imagerie dérivant par instants presque vers le fantastique (la mascarade, qui n’est pas sans évoquer les transes d’un Midsommar), la stridence des cordes et les chœurs habités de femmes, témoins mais aussi commères pouvant à tout moment sortir les crocs, le milieu décrit tangue, enivre et détruit son personnage autant qu’il fascine, emporte et éprouve le spectateur. Un véritable tour de force.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Animation, Pologne, Les meilleurs films polonais, Vu en 2024 et Rotoscopie
Créée
le 21 mars 2024
Critique lue 1.7K fois
38 j'aime
5 commentaires
D'autres avis sur La Jeune Fille et les paysans
En plein cœur du tsunami créé par la sortie de Dune 2, qui a entre autre permis de redéfinir la passionnante question de l'importance respective de la forme et du fond au cinéma, "La jeune fille et...
Par
le 20 mars 2024
27 j'aime
3
Vous aussi, cela vous amuse quand quelqu'un vous annonce avoir reçu une claque cinématographique pour un film lambda ? Et bien, il n'y a pas de terme plus adapté pour décrire la sensation et le choc...
le 10 nov. 2023
27 j'aime
4
Le monde du cinéma a souvent été le témoin de productions exceptionnelles, mais de temps en temps, un film se distingue de manière si impressionnante qu'il en devient inoubliable. "Les Paysans",...
le 22 janv. 2024
17 j'aime
1
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
774 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
715 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
617 j'aime
53