En plein cœur du tsunami créé par la sortie de Dune 2, qui a entre autre permis de redéfinir la passionnante question de l'importance respective de la forme et du fond au cinéma, "La jeune fille et les paysans" vient apporter une éblouissante contribution au débat.
En poursuivant le travail titanesque entrepris pour "La passion Van Gogh" en 2007, film entièrement peint à la main (62 000 peintures à l'huile réalisées en 5 ans de préparation, puis animées en utilisant à la technique de la rotoscopie (https://www.cnc.fr/cinema/actualites/la-rotoscopie-entre-reel-et-animation_1374422), le couple Dorota Kobiela et Hugh Welchman livre en effet, avec son second long métrage, une œuvre flamboyante, étincelante dans sa conception.
Là où en 2007, certains reprochaient à leur premier essai un manque de fluidité, voire quelques saccades dans l'animation des personnages, "Chlopi" (les paysans en polonais) apparait quelques années plus tard, comme une création beaucoup plus aboutie, étourdissante même lorsqu'elle nous immerge au cœur de scènes vertigineuses, de danses sensuelles et endiablées ou de déchainement des éléments de dame nature. La justesse des traits, des expressions des personnages donne toute la mesure de l'ampleur du projet, lorsque l'on sait que c'est à partir de scènes jouées par les acteurs crédités, que les peintures ont été réalisées, le tout combiné à plus de 150 tableaux de peintres "naturalistes" polonais du début du siècle dernier (Józef Chełmonski, Michał Gorstkin..), chacun choisi pour accompagner par ses couleurs, les teintes des quatre saisons rythmant cette chronique.
C'est par l'automne, probablement la plus chatoyante, la plus rassurante avec ses ocres enveloppants ses jaunes fanés, que débute Chlopi, chronique d'un village paysan donc , mais également chronique d'un monde où la beauté s'achète, où l'avenir insouciant des jeunes femmes désargentées s'obscurcit au fur et à mesure que les jours s'effacent au profit de nuits toujours plus longues. Ce monde, est donc également celui de Jagna (Jagùs), jeune femme du village, orpheline de père, convoitée par tous les hommes et séduite par Antek, un homme marié, fils du plus important propriétaire terrien du comté. Un vieil homme veuf qui offrira six âcres de terre à la mère de Jagna pour épouser celle-ci, juste avant que l'hiver ne viennent durcir la terre, figer la vie des travailleurs agricoles, sacrifier la jeunesse de la belle "vendue" contre son gré presque comme une marchandise.
L'hiver sera également la période des couleurs plus froides, des blancs glacés, des bleus froids, mais aussi d'une belle luminosité à l'écran magnifiée toujours par ces tableaux de maîtres et par un mouvement quasi perpétuel. Evidemment, l'émerveillement initial suscité par le procédé perdra un de sa force au fur et à mesure de l'avancée du récit, et à un procédé qui même s'il donne un cachet magnifique à l'œuvre a également pour effet de mettre un peu de distance entre le spectateur et les personnages, créant pour un temps, un petit scepticisme au cœur de cet hiver un peu long, bien vite gommé par un emballement final inattendu, presque tragique dans sa dramaturgie.