Lorsqu’en 2015, George Miller, révolutionnait le film d’action (et le post-apo) avec le sidérant Fury road, certains y voyaient un acte ultime, un chant du cygne magnifique, une œuvre inégalable et probablement inégalée depuis. Fury Road n’était pas un film, c’était une machine énorme infernale, inarrêtable qui roulait sur le genre écrasant les maisons de paille, (odes au numérique désincarné) érigées par les besogneux hommes de mains des studios, robots sans âmes au service d'empires sans idées….
Depuis une question, une petite mélodie lancinante taraude l’esprit du pékin moyen : Miller, sera t-il de nouveau capable un jour de nous secouer la carcasse, nous imprimer la rétine, comme il l’a fait en 2015 ? …
Nombreux furent, durant ces neuf longues années d’impatience, les sceptiques, ceux qui doutaient que le grand réalisateur puisse de nouveau surprendre dans ces proportions. Un doute plus marqué encore, lorsque fut annoncé le projet d’une première aventure dans le Waste Land sans max, une origine story de Furiosa sans Furiosa, plus exactement sans Charlize, "badasse" ultime, la première à avoir éclipsé Max et transcendé la légende du moignon.
La furieuse, avait décrété le cinéaste roublard, prendrait les traits (fins) de la dame (de pique ?) qui piquait les cœurs sur l’échiquier de Netflix, une belle pas très rebelle, peut-être trop fragile. La perplexité s’invitait encore devant une première bande annonce qui ressemblait à une indigeste bouillie numérique, que l'on avait envie de régurgiter à plein gosier, pire, le « méchant » annoncé, Démentus dissimulait sous son masque d'empereur romain, Chris Hemsworth, le Thor de la maison d'en face, celle qui justement fabrique cette indigeste pitance.
Puis vint le jour de l'avant-première, enfin de la seconde avant première, la première avait eu lieu à Cannes sous les vivas de la foule levée dans une longue standing ovation (le microcosme cannois a l'enthousiasme facile) , et la voix de la raison rejoignait celle de l'espoir et de la mauvaise foi : si Furiosa n'était pas trop mauvais, nous pourrions, disséquer longuement les scènes époustouflantes (il y en aurait forcément une), et pour le reste louer le changement de ton, le futur forcément culte d'une œuvre un peu incomprise et l'honneur de tous serait sauf.
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Incomprise, la toute première scène un peu cul-cul le restera probablement : des gamines heureuses, s'apprêtant à croquer le fruit défendu dans un eden vert, sorte d'Amazonie peuplée d'amazones, puis enlevées (enfin une) par un méchant (enfin plusieurs) poursuivi (s) par une mère bien trop lisse, à peine souillée par l'effort en plein désert et récitant une partition désincarnée. La trouille ultime donc, celle de la gamine et surtout la nôtre en attendant la suite...
Mais immédiatement, la terreur, la vraie, de celles qui électrisent le désert et viennent glacer les os, s'empare de nos corps tremblants et donne naissance à une violence sauvage, cruelle, comme on ne la montre plus au cinéma depuis les années 1980 et les premiers Mad Max, contes macabres et nihilistes. Chris Hemsworth a beau secouer sa longue chevelure et dodeliner de la tête dans tous les sens, il ne parvient pas à ressembler à une méchant de pacotille, il a même de la gueule en faux empereur romain, un peu idiot c'est vrai, mais surtout en monstre déshumanisé.
Les premiers chapitres (il seront au nombre de cinq) sont donc ceux de la désolation, de la crasse humaine, la rupture de ton avec "Fury Road" n'est plus un fantasme. "Furiosa" expédie ad patres ses personnages (et nous avec) vers le néant, un nouveau moyen-âge, peuplé des pires rebuts de l'humanité. Pourtant au centre de tout, est cette gamine, "bien nourrie et saine", donc convoitée par tous : par Démentus et sa horde en guenilles, mais également par Immortan Joe à la faveur d'un retour vers la citadelle du précédent opus.
Car George le roublard n'a rien perdu de son art, et pendant que l'on vomit la lie de l'humanité, pendant que les parents outrés cachent les yeux de leurs enfants (on ignore quels huluberlus ont pu décider que Furiosa serait tout public !), lui tranquille construit son récit, dessine la génèse du mythe Furiosa, transforme Anya Talor-joy en guerrière tout à fait redoutable et surtout, esquisse l'Origin Story de ce monde dévasté qu'était Fury Road. Le temps de quelques scènes ahurissantes, Miller, éternel conteur par l'image explore en l'expliquant La Citadelle, le Moulin à Balles, Pétroville, propulse de nouveaux engins roulants ou volants, inonde chaque scène de détails flamboyants, fomente de nouvelles attaques de convois, catapulte des War Boys dans les airs, sous les roues et partout autour.
Furiosa n'est pas Fury Road et c'est une bonne nouvelle, ce numéro cinq est (à peine) plus bavard, plus profond, moins enjoué également que le précédent, certains regretteront à coup sûr quelques effets numériques moins maîtrisés, notamment lors de la scène de l'attaque du porte-guerre. Pour d'évidentes raisons écologiques le tournage n'a pu avoir lieu entièrement dans le désert, pour autant ce premier épisode de la saga Mad Max sans Max est tout aussi sidérant que le précédent, inattendu dans le développement de ses personnages et quand bien même les scènes d'action sont plus rares et moins frénétiques qu'en 2015, toutes restent hallucinantes dans leur rythme, leur inventivité et leur "lisibilité" : le cinéaste et c'est désormais sa marque de fabrique, construit toujours ses scènes d'action autour de plans très courts (comme beaucoup des ses confrères), mais place les éléments en mouvement (véhicules et personnages) au centre de l'image ce qui permet de toujours les situer dans l'espace et de ne pas se perdre dans l'action.
Bref George est bien le maître de son royaume et si par bonheur dans quelques années il nous revient avec un sixième Max, une troisième Furiosa, nous ne douterons plus, c'est promis.
In George We trust (for ever)