Jamais peut-être depuis 1938 (et le canular fabuleux d'Orson Welles, qui le temps d'une représentation radiophonique de "La guerre des mondes" sema la panique aux Etats-Unis), une illustration dystopique n'avait eu une de résonance si profonde dans l'imaginaire collectif. Là ou parfois l’incarnation d'un futur sombre fait figure de catharsis, exorcisant une menace extérieure (monstres, extraterrestres) assez lointaine ou improbable, Civil War représentant une amérique fracturée et en plein guerre civile, s’inscrit dans une dynamique différente, plus anxiogène. La menace décrite ici est bien plus palpable, et dès les premières scènes, violentes, réalistes , c’est un sentiment diffus de nausée qui s’empare du spectateur.
Les choix d'Alex Garland ne sont évidemment pas étrangers à cette sensation de malaise qui traverse le film. En donnant volontairement peu de contexte à son récit, le réalisateur, malin, entretient une confusion déroutante, perd un peu son spectateur puisqu'il ne le prend jamais par la main pour expliquer la situation: tout juste apprend-on que deux états (le Texas et la Californie (?)) se sont alliés pour faire sécession, et sont déterminés à renverser un président qui termine son troisième mandat. Le point de vue est radical, la construction du scénario resserrée autour de son arc de narratif principal : la progression d'un groupe de quatre journalistes de New-York à Washington (dans le but interviewer le président), à travers le chaos, quatre témoins incrédules de scènes de guerre urbaine atroces.
Ces journalistes, Joel et surtout Lee, reporters pourtant aguerris, impliqués déjà dans de nombreux conflits armés hors de leur pays, Samy plus âgé et la jeune Jessie admiratrice et protégée de Lee, assistent à la déliquescence de leur pays, emportés au cœur de ce déferlement de violences de cette folie meurtrière. Leur vocation est de rendre compte, de photographier, Lee dira que l'interprétation est ensuite l'affaire des autres. Mais là encore, Garland interroge leur condition plus qu'il ne la justifie ou la glorifie, questionnant implicitement le besoin d'adrénaline de ses personnages comme moteur de leur volonté permanente d'être au cœur du conflit, l'opposant au caractère indispensable de leur mission.
Bref appréhender Civil War , n'est pas simple. Certains à coup sûr en détesteront l’aspect prophétique terrifiant, d'autres remettront en question avec raison également, l’absence de développement politique, mais pour les autres la dernière création du metteur en scène britannique restera comme un objet profondément impactant par son propos donc, mais aussi par ses propositions cinématographiques.
Avec un budget relativement modeste pour un film de cette ampleur (50 millions de dollars), la production A24 remet un coup de projecteur sur la question qui agite les critiques de cinéma ces derniers temps, celle de la définition du blockbuster d'auteur . Civil War est sans conteste un film d'auteur, tant Alex, l'obstiné, y impose son approche et ses points de vue, mais c'est également un grand film sur un plan purement cinématographique. Les scènes d'action tendues, bénéficient d'une composition exemplaire, la lumière des scènes de jour est assez extraordinaire, le son assourdissant des explosions et tirs est d'un réalisme tout à fait inhabituel (non je n'oublie pas la masterclass du boss sur ce point dans le "soldat Ryan"). Et évidemment, il y a LA scène, cette scène finale qui dure une bonne vingtaine de minutes (probablement), de nuit, dans une ville de Washington telle que nous ne l'avons jamais vue au cinéma, une scène d'une belle tension, une grande séquence d'action également, qui dénoue l'enjeu dramatique esquissé , on le comprend à cet instant, dès le début.
Mais, l'œuvre est avant tout un bijou subtil de narration par l'image, -effets de style faciles objecteront certains- mais le développement et l'évolution du caractère des personnages féminins par la mise en lumière de l'approche de leurs travaux photographiques, l'une, Lee utilisant la couleur pour monter la réalité crue, l'autre Jessie, photographiant à l'inverse en noir et blanc pour marquer son recul et probablement donner un peu d'élégance à ce qu'elle voit. Enfin Garland développe tout un jeu de contrastes par le son, les longs moments de silence total après une explosion, instants d'introspection et d'assimilation de l'horreur et ces scènes de poésies presque macabres lorsque les étincelles enveloppent la nuit dans le silence également ou lorsque Jessie se perd dans la contemplation lorsque le paysage qui défile devient flou.. Oui ce Civil War est aussi une beau film
*Titre (traduit) de l'article du NY times consacré au film