La Jeune Fille et les paysans
7.3
La Jeune Fille et les paysans

Long-métrage d'animation de Dorota Kobiela et Hugh Welchman (2024)

Toi qui lis cette critique, que ton avis converge ou diverge du mien, ta rencontre avec La Jeune fille et les paysans a probablement été guidée par la même soif de découverte que moi. Que ton chemin ait été orienté par le bouche à oreille, la campagne de promotion du film ou par tes pérégrinations sur le site ; que tu aies visionné ou non le film ; que tu l’aies aimé ou non, te voici ici.

Bien que nous ne partagerons que brièvement cet itinéraire, permets-moi de te poser cette question :

Cette curiosité qui nous a mené ici, n’est-elle pas au fond en partie animée par un fantasme : celui de retrouver, pour un instant, l’émerveillement avec lequel nos yeux d’enfants découvraient les choses de la vie ?

Tu as peut-être toi aussi connu cette période précieuse durant laquelle l’incompréhension des rouages du Cinéma s’apparentait à de la magie, où les histoires paraissaient aussi vraies que la réalité.

Seulement, malédiction du cinéphile et de tout amateur d’art, à l’euphorie des premières découvertes succède le recul, la modération et la critique.

De fil en aiguille, en cherchant inlassablement l’œuvre permettant de retrouver les frissons de l’initiation, c’est précisément ce qui en éloigne l’amateur, par la distance que la connaissance confère.

Pour ce qui est de mon cas, j’en arrivais pratiquement au point de faire mon deuil concernant le Cinéma. Je commençais à me faire à l’idée que le plus beau était derrière moi, que je ne connaîtrai potentiellement jamais à nouveau l’extase que j’ai éprouvé à la découverte de mes films préférés.

Jusqu’à… Vous me voyez venir…

Jusqu’à ce que La Jeune fille et les paysans vienne ébranler cette pensée.

Immanquablement, si on souhaite parler du film on ne peut omettre, en premier lieu, son aspect esthétique. Fruit du travail de plus d’une centaine d’artistes durant 5 années (chaque image représenterait en moyenne 5 heures de travail selon Hugh Welchman, co-réalisteur), le résultat a été élaboré grâce à un procédé d’animation par rotoscopie. Technique consistant à filmer dans un premier temps en prise de vue réelle, puis de recréer graphiquement chaque image…. image par image. Ici pour chaque seconde de film, 6 images sont peintes manuellement et 18 sont générées par logiciel pour relier ces 6 images et recréer l’impression de mouvement des 24 images par seconde.

Certes, cette technique soulève une question pertinente :

Pourquoi recréer quasiment "à l’identique” des séquences déjà filmées ?

La réponse, selon moi, est aussi évidente que pour l’artiste qui choisit la peinture pour représenter un modèle plutôt que la photographie.

Je ne l’apprends à personne, la peinture permet un travail approfondi sur les couleurs, les formes, la composition ou encore la lumière, offrant ainsi une palette de libertés bien plus riche que le réalisme brut d’une caméra.

Et là se trouve la magie qui a subjugué mon regard pendant les 2 heures du film. Le même regard que celui d’un enfant posant ses yeux pour la première fois sur un film d’animation.

Ignorant tout de la rotoscopie et n’ayant pas vu La Passion Van Gogh avant ma rencontre avec La Jeune fille et les paysans, l’incompréhension de ce que j’avais en face de moi était bien là et le choc fut d’autant plus percutant.

Bien entendu, tout ce travail graphique ne serait qu’artifices s’il dérogeait à la règle d’or de se mettre au service de l’histoire. Fort heureusement, le décor de celle-ci se marie parfaitement avec le style pictural. Ce dernier s’inspirant de tableaux réalistes et pré-impressionnistes polonais et européens de la seconde moitié du 19ème siècle, le récit s’ancre lui au sein d’un village polonais à l’aube du 20ème siècle.

L’histoire en elle-même, inspirée d’un roman polonais publié entre 1904 et 1909, dresse principalement le portrait d’une jeune fille dont la beauté et la liberté d’esprit suscitent convoitise et amour, mais aussi jalousie et mépris. Interprétée de façon certes convenable par les acteurs, c’est véritablement grâce à cette succession de tableaux en mouvement que la narration accède à des horizons de représentation inouïs.

Les saisons passent, l’amour se transforme en haine, les passions brûlent puis la pluie finit par tout éteindre ou presque. Et tout cela brille au travers de scènes d’extérieur, de transitions saisonnières, de mariage magnifiquement triste ou de mort tragiquement magnifique.

Enfin, pour renforcer d’autant plus l’immersion, la musique joue un rôle essentiel et brille par sa justesse. Privilégiant l’utilisation d’instruments traditionnels polonais et slaves, elle est peut-être toute aussi importante que l’enchaînement de 24 images par seconde pour donner vie au tableau.

À contrario de celui de ses personnages, La Jeune fille et les paysans est un mariage heureux : celui des arts graphiques, narratifs et musicaux. Espérons qu’il engendrera d’autres enfants dans son sillage, qui continueront d’élargir le spectre des représentations visuelles et de mettre en avant le travail d’artistes dévoués.

Ludycolost
10
Écrit par

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le 5 avr. 2024

Critique lue 64 fois

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Ludycolost

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