Très peu de critiques sur SC pour ce film confidentiel découvert grâce au Masque et la Plume qui l'a comparé à Ida : effet sur moi garanti.
Un peu moins fort qu'Ida quand même, mais du très, très beau cinéma. Content, donc, de pouvoir rehausser la moyenne, ce 6,5 étant pour moi incompréhensible. Le cinéma des pays de l'Est est décidément à suivre.
Argumentons.
Moult idées de cadrage. Exemples :
- obsession des barreaux en premier plan, parfois relayés par un rideau, une fenêtre...
- le cortège évoluant dans les champs à hauteur d'épis fauchés (repris en début et en fin, belle idée)
- l'entrée et la sortie de l'église du pauvre homme venu se confesser, en contreplongée (là aussi, reprise du même plan)
- la table du banquet filmée à l'horizontal
- les deux juifs qui marchent filmés au ras du sol, de dessous le tombereau, une lanterne bringuebalant au premier plan, évoquant les westerns de John Ford...
Car, oui, il y a du western dans l'atmosphère de cette Juste Route. Ces deux silhouettes noires qui marchent droit devant, imperturbables, rappellent celle du justicier qui débarque dans un village, inquiétant immédiatement les braves gens. Sauf que nos deux héros ne sont pas juchés sur un cheval : ils marchent comme des gueux ("nous préférons marcher", disent-ils à deux reprises). Et qu'ils feront justice sans tirer un coup de feu. Cruelle ironie. La musique contribue à installer cette ambiance de western : petites touches énigmatiques (harmoniques de guitares, de violon....) qui fleurent bon leur Ennio Morricone, donc leur Sergio Leone.
Superbe travail sur les tons, en particulier les noirs, qui ressortent de façon extraordinaire :
- la fumée de la locomotive,
- les costumes des deux juifs,
- celui du secrétaire de mairie sur la moto dans le champ de blé
- la soutane du curé...
Et puis quelques beaux travellings, à travers des cloisons, j'aime toujours ! Et un timing très pertinent : rythmé lorsqu'il s'agit de traduire la nervosité du secrétaire de mairie, plus contemplatif lorsqu'on suit la marche des deux juifs.
Bref, formellement, une merveille ! Quant aux acteurs, ils sont tous très justes, d'une grande force.
Le fond n'est pas en reste : par sa seule marche solennelle dans ce village, ces deux juifs, père et fils, vont affoler tout un village, en réveillant une culpabilité mise sous le boisseau.
Un mariage annulé, un homme qui se pend, une maison incendiée : tout cela par le seul mécanisme de la culpabilité. C'est Crime et Châtiment à l'échelle d'un village !
Pris entre son passé de collabo et un avenir passablement incertain - incarné par les militaires soviétiques et par cette phrase qui revient : "le monde change" -, ce village perd les pédales. Sa fébrilité est éclatante, à l'image du secrétaire de mairie qui tire compulsivement sur son cigare, face à la tranquille détermination de deux juifs.
Ces derniers ont tout perdu. Les villageois, eux, ont tout à perdre.