Le passé est une mode inébranlable. Combien de biopics, de regards sur des temps révolues, de modification de l’Histoire, de « c’était mieux avant » ? Des séries en ont fait leur fond de commerce. Le vintage est partout, le modernisme flingué, les élections politiques démontrent la peur du monde qui vient, avec leurs derniers soubresauts vers des refuges de l’illusoire. La dernière saison de South Park, cynique à souhait, en a fait son sujet. Un coup de mou ? Randy mange des memberberries, ces baies qui parlent sans cesse des premiers films de la trilogie de Star Wars et rendent les gens de bonne humeur après ingurgitation. Dans une interview, Damien Chazelle affirme qu’un producteur l’a financé car le script de La La Land représentait tout ce qu’il ne fallait pas faire, donc ça ne pouvait que marcher. Astucieux pourvoyeur de fond qui a surtout su capter le potentiel de La La Land, une comédie musicale remplie de citations à ses prédécesseurs, à l’apparence du goût du jour. Deux têtes d’affiche plus tard, le film écrase tout sur son passage, battant des records de nomination dans pas mal de cérémonies de remise de prix. Pour un résultat qui, s’il n’est pas non plus exceptionnel n’en reste pas moins symbolique de l’humeur de l’époque actuelle.


Techniquement, le film est difficile critiquable. On comprend bien que Chazelle a cherché à prouver quelque chose, entre ces belles lumières, ces couleurs déclinées de l’heure bleue et ces plans séquences virevoltants, à l’image de la robe de Emma Stone. La critique esthétique est ici purement une affaire de goût : soit on apprécie les effets, soit on y est insensible. Dire que ce n’est pas bien fait serait inexact, et, rétrospectivement, par rapport aux comédies musicales à qui Chazelle prétend rendre hommage, les plans séquences constituent une vraie marque innovante. Ce sont eux qui donnent à la scène d’ouverture sur l’autoroute tout son charme, malgré l’absence initiale de joliesse dans le cadre, avec des conducteurs aigris, en plein embouteillage. Mais c’est cette même scène qui laisse envisager pour la suite un spectacle donné par des acteurs non professionnels, dans un genre où il est difficile de se former deux mois à l’avance. Théoriquement, pourquoi pas. La La Land n’aurait certainement pas aussi bien marché si sur l’affiche des noms inconnus s’y étaient trouvés. Quid des Oscars, après ? D’autant plus que, dans la pratique, le résultat n’est pas non plus une catastrophe, surtout en ce qui concerne Ryan Gosling. La question se pose plus en réalité pour Emma Stone. Là où dans un Singin' in the Rain, ou Les demoiselles de Rochefort, Gene Kelly est éblouissant grâce à son apparente facilité dans ses multiples performances, les acteurs de La La Land semblent parfois souffrir. Tout l’intérêt d’une comédie musicale, ou d’un ballet, tel le Lac des Cygnes, c’est la magie qui s’y concentre, une magie de courte durée, mais durable dans les esprits. Ryan Gosling et Emma Stone font ce qui est en leur pouvoir, mais le résultat n’est pas à la hauteur de ce que la bande-annonce et l’affiche nous vendent. Outre le fait que le film, qualifié de comédie musicale ne tourne en réalité que sur un nombre réduit de chansons, Emma Stone semble revenue à la période Easy A, où elle en faisait des caisses en adolescente à part dans un lycée. Grimaces et excès faciaux sont au rendez-vous, accompagnés par une voix qui a du mal à pousser la chansonnette. Ça tient de justesse, mais c’est un peu gênant.


Que dire de cette nostalgie sirupeuse, incarnée dans le personnage de Ryan Gosling ? D’abord, qu’elle se condense tout entière dans quelques références prises au vol. La façon dont il entraîne Mia (Emma Stone) voir des films adoubés par sa personne démontre une approche superficielle du cinéma, parce qu’il faut « absolument voir ça », doublé d’une vision de l’avant caricaturale. La la Land est entièrement tendu sur l’idée que la réalité est laide. Quand Sebastian (Ryan Gosling), dont le passe-temps favori est d’apprendre la vie à Mia sur le jazz, le cinéma, le café, ce qu’elle doit faire, ce qu’elle ne doit pas faire, passe dans un groupe pour avoir de l’argent de poche à la fin du mois, la vision qui en est donnée confine à un élitisme prétentieux. Chazelle nous montre un public dansant, tout acquis à la cause de la musique sirupeuse qui passe dans leurs oreilles. Un faux-procès qui, sous couvert de nous montrer un artiste qui se perd (quand le voit-on véritablement composer, à part un ou deux morceaux ?) nous propose une seule et unique vision du réel, réel qui jusqu’à la fin sera illustré dans une intention remplie de mauvaise foi. Emma Stone a finalement réussi (l’a-t-on vu vraiment jouer, à part pour des auditions ? Non, mais on la voit avec de la soie et de la mousseline) en tant qu’actrice. Enfin, l’émancipation ! Le rêve d’une vie accompli ! Pour réaliser, assise dans un club de jazz, que l’homme qui se tient en fasse d’elle n’est plus son petit ami, imaginer l’histoire à nouveau, et puis en fait non, tant pis, c’est vraiment fini. Dans le réel, on ne peut pas tout avoir. Surtout si le réel est moche, qu’il le soit jusqu’au bout.


Chazelle nous livre ici un second essai en demi-teinte, qui dans le prolongement de Whiplash, malgré leur absence de liens apparente, nous parle encore une fois de ce qui est censé avoir une valeur véritable. Si encore l’affaire était touchante, profonde, remplie d’une expérience personnelle modeste et sans prétention. Ce n’est pourtant pas le cas, et il reste encore à voir si dans son prochain film Chazelle sera en capacité de nous montrer autre chose que des menhirs, en réalité des moulins qui s’effondrent, dans un monde où on essaie de monter à la corde, alors que celle-ci ne fait que descendre. Ce serait, pour lui, une évolution notable dans sa filmographie. Et après tout, à un moment, il faut savoir avancer.

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le 2 févr. 2017

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-Ether

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