Il suffit à La La Land d'une scène inaugurale formidable en forme de plan séquence pour immédiatement emporter le spectateur dans son univers. Virevoltante, énergique, emballante, exubérante, elle se hisse sans mal au firmament des comédies musicales les plus marquantes, entre Grease, West Side Story ou encore Moulin Rouge ! A l'image par ailleurs d'un premier acte qui tutoie l'excellence. Car La La Land est d'une gaieté rafraîchissante, ancré dans notre époque mais exhalant une saveur un brin rétro trempant dans ses influences jazzy. Le film semble pétiller comme une bulle de champagne, tout en s'envolant comme le ferait une bulle de savon irisée, enchainant les numéros réjouissants et faisant naître une idylle qui culmine dans une scène aérienne au comble du romantique. Passée cette scène, on n'a qu'une envie : se ruer sur Sens Critique et se lâcher dans un 9 ou un 10 en guise de note dithyrambique. Et de louer ce couple si attachant, les accents de gentille satire parfois humoristique de la vie folle et la cité des anges, de ses fêtes un peu vides de sens et de l'industrie cinéma.
Mais La La Land prend un tour curieux à la seconde ou la réalité commence à s'imposer à son couple de protagonistes vedette. Quand la romance et son utopie, les jolis rêves que l'on caresse se heurtent tout simplement à la vie et à ses aléas. Et là, on se rend compte que cette première partie si emballante a été dictée pour servir le propos et le style de la mise en scène adopté par Damien Chazelle, dont le talent n'est plus à prouver. Mais j'ai ressenti que cette construction, pour aussi solide soit-elle, avait au passage cassé quelque chose dans mon ressenti de ce La La Land.
Le spectacle simple et ingénu proposé jusqu'ici fait en effet un pas de côté. Les séquences de pure comédie musicale, elles, se font de plus en plus rares. Car la poursuite du rêve dévore la vie et contraint à s'isoler. La nécessité de mettre du pain sur la table fait parfois que l'on s'oublie. Le regard que l'autre jette sur nous, lui, souffre de ne pas changer depuis les premiers émois et l'attirance de la passion. L'idéal, enfin, plie le genou devant des compromissions nécessaires. Le discours de Chazelle est toujours aussi pertinent, comme dans son Whiplash, mais le réalisateur semble éprouver quelques problèmes de rythme, par instants, exécuter quelques transitions parfois maladroites. Pas de quoi ternir l'oeure, cependant. Juste de quoi désorienter. Et penser parfois à la maîtrise affichée dans Whiplash, confinant au virtuose, qui enchaînait les sommets d'affrontements entre deux fortes têtes.
L'évolution du couple, elle, se fait en mode solo. La vie et ses opportunités se sera chargée de fissurer les liens de la passion. Mais chacun s'accomplit. Chacun à sa manière. Comme si cela nécessitait de ne pas être entravé par une quelconque attache. Le personnage d'Emma Stone bénéficie le plus de cette séparation, devenant plus fragile, plus vulnérable dans sa difficulté à se reconstruire. Jusqu'à ce que La La Land renoue avec le rêve, dans une séquence finale déchirante, aussi romantique par procuration que traversée de regrets et d'un certain fatalisme, accompagné des notes cristallines d'un piano. Le temps de quelques minutes, Chazelle renoue avec l'émerveillement de sa première partie, teintée de larmes quand on pense à ce qui aurait pu arriver. La La Land se clôture ainsi sur un sommet d'émotions qui fait voir l'oeuvre d'un autre oeil.
Dommage simplement que le film soit précédé d'un buzz médiatique un peu trop savamment orchestré en forme de succès anticipé, de rafraîchissement évident d'un genre tombé en désuétude par un réalisateur surdoué. Car en commettant Whiplash, Damien Chazelle a peut être mis la barre un peu trop haute d'une hype qui condamne à la réussite. Et transformant le bon film qu'est La La Land, peut être un peu trop conscient de l'attente qu'il suscitait, en passage obligé culturel et (Sens) Critique.
En cette matière, pas sûr que Behind ait brillamment réussi l'examen de passage...
Behind_the_Mask, qui connait la chanson.