L’unanimité n’existe presque nulle part, et surtout pas dans la critique cinématographique. Pourtant, depuis quelques semaines, une mélodie semble enchanter nombre de cinéphiles et d’experts, attisant leur enthousiasme envers le troisième film de Damien Chazelle : La La Land. Il y a deux ans déjà, le jeune réalisateur avait mis quasiment tout le monde d’accord avec Whiplash, spectacle prenant mêlant jazz, sueur, sang et opiniâtreté, rythmé par la relation tumultueuse entre un jeune musicien en devenir et un professeur inflexible. Toujours lié à l’univers de la musique, Damien Chazelle se risque cette fois à l’exercice de la comédie musicale avec La La Land.
Pour planter le décor, je ne suis pas un grand amateur de comédies musicales. L’intervention inopinée de chansons en plein déroulement du récit a tendance à me faire sortir du film, et c’est pour cela que je n’ai pas encore pris le temps de regarder les Chantons sous la Pluie (1952), West Side Story (1961) ou Hair (1979). De même, à la vue des nombreuses critiques, généralement très positives, au sujet de La La Land, je me suis refusé tout visionnage de bande-annonce ou toute lecture trop approfondie d’éventuelles critiques afin de pouvoir aborder le film de la manière la plus neutre possible. En effet, on ne le dit jamais assez, mais l’attente que l’on a d’un film conditionnera toujours l’expérience que l’on en retire.
C’est donc devant une présentation vintage et la mise en avant du Cinemascope que le film s’ouvre, et déroule d’entrée une scène musicale chorégraphiée, bigarrée et enjouée, qui aurait tout pour être simplement joyeuse et gaie, si le réalisateur n’avait pas choisie de la filmer entièrement en plan-séquence pour nous montrer, d’emblée, que ça ne sera pas juste « sympa », mais surtout un vrai tour de force technique.
Qu’on se le dise, nous avons déjà vu à maintes reprises des films au scénario très proche de celui de La La Land. Ce choix, d’ailleurs, doit figurer parmi les principaux reproches des détracteurs du film. Cependant, le film doit être vu pour ce qu’il est, c’est-à-dire un objet artistique qui évolue dans un contexte socio-culturel particulier et défini. Pour ce qui est de l’objet en lui-même, j’ai déjà commencé à en parler brièvement en utilisant comme angle d’attaque le plan-séquence inaugural qui captive d’emblée le spectateur et émouvra les plus avertis qui se délecteront de la fluidité procurée par ce choix technique.
D’ailleurs, Damien Chazelle a choisi de tourner toutes les scènes chantées en plan-séquence. Au-delà d’en faire un simple choix esthétique, c’est aussi une excellente manière d’établir une analogie entre la musique et le cinéma. En effet, si la chanson se déroule sans interruption, il semble tout à fait judicieux que les images que l’on leur associe en fassent de même. Grâce à cela, musique et film s’associent parfaitement pour créer un résultat d’une harmonie rare.
Baignant toujours dans une ambiance très colorée, La La Land se déroule dans un climat féerique, appelant à la fois à l’évasion et nous baignant dans un univers chaleureux et apaisant. Grâce à son scénario relativement simple et au fait qu’il est centré sur une histoire d’amour, La La Land a un côté très mignon et innocent, qui se répercute sur le spectateur, ce qui me permet de faire la transition vers le contexte socio-culturel actuel. En effet, personne ne niera le fait que les difficultés économiques, et les tensions politiques et sociales qui obscurcissent notre monde et qui nous sont sans cesse rapportées dans les médias, pèsent lourd sur le moral des gens.
Ainsi, nul ne niera non plus le fait qu’il est bon de trouver des moyens de s’extirper de ce quotidien quelque peu morose. Et c’est là que La La Land intervient. Malgré un ton très nostalgique nié à ses multiples références aux comédies musicales à succès des années 50/60/70, La La Land vient également insuffler un véritable vent de fraîcheur dans une industrie cinématographique souvent propulsée par des oeuvres très aseptisées, codifiées, au ton faussement grave ou trop prévisibles. Le choix de la comédie musicale intervient au bon moment pour rafraîchir un genre souvent considéré comme désuet et ringard, tout en s’affirmant comme un film à part.
L’histoire très romancée, le ton très enjoué, naïf, frisant le niais et le mielleux, apportent une véritable touche d’innocence au film, replongeant le spectateur en enfance. Son allure de conte de fées met plein d’étoiles dans les yeux et émeut au plus haut point, pour nous donner la sensation de vivre un rêve éveillé. Bien sûr, les musiques font partie intégrante de cette dynamique et permettent de décupler son effet, nous immergeant tantôt dans la joie, tantôt dans la mélancolie.
Bien entendu, le film ne se résume pas à une simple romance chorégraphiée et entrecoupée de chansons. Le film s’articule autour de la volonté et de la capacité à réaliser ses rêves, ainsi que de leur confrontation avec une histoire d’amour. A y repenser, on pourrait tout à fait voir une analogie avec la thématique de Whiplash, où le jeune musicien rêve de devenir un batteur de renom et se heurte à un professeur tyrannique, qui lui offre une opportunité mais en échange n’aura de cesse de lui mettre des bâtons dans les roues, confrontant le héros au découragement et aux désillusions. Ici, chacun a ses rêves, et si c’est d’abord leur propre capacité à réaliser leurs propres rêves qui est mise en avant, c’est leur capacité commune à concilier leurs rêves respectifs qui est ensuite développée.
Le film se met lui-même presque en abyme également. Ressuscitant un genre qui fit la gloire d’Hollywood il y a cinquante ans, Damien Chazelle remet implicitement en question son film lorsque John Legend explique à Ryan Gosling que ce dernier s’évertue à vouloir faire perdurer dans sa musique le jazz traditionnel, dédié à des personnes vieilissantes, quand il faut chercher à renouveler le genre pour s’adapter à son époque. C’est ce que fait ici le réalisateur, en reprenant consciencieusement des codes du genre et de l’époque, en les modernisant, et, ainsi, obtient le succès.
Après son Whiplash, Damien Chazelle prouve une nouvelle fois son amour pour le jazz mais surtout ses nombreuses qualités dans la réalisation. Avec La La Land, il frappe un grand coup et crée un véritable tremblement de terre dans la sphère cinématographique, remportant par la même occasion de nombreux Golden Globes, et en se voyant nominé à de nombreuses catégories aux Oscars. D’aucuns diront que son côté nostalgique et son discours sur une époque florissante d’Hollywood ont eu une influence sur ces récompenses… Mais très rares sont les films de notre temps pouvant se targuer d’obtenir un tel succès critique, et c’est totalement justifié. J’ai eu des étoiles plein les yeux, j’ai été émerveillé, quand je suis sorti je n’avais qu’une envie : danser. Je n’irai donc pas à contre-courant et salue volontiers la réussite de ce film. J’en redemande !