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Damien Chazelle nous avait laissé joyeusement pantois avec Whiplash, mais aussi amer sur la question d’un art pratiqué pour le sport plutôt que pour l’amour de celui-ci. Une idée qui devenait prépondérante, ancrée dans une pensée très étasunienne de la réussite, de la création d’un mythe par l’effort. Malgré tout, le rythme était tel qu’on était prêt à mettre de côté cet aspect, à bien vouloir considérer cette dimension du récit comme une critique en filigrane de la pensée do it yourself. C’était sans compter sur La La Land, qui derrière ses oripeaux libertaires et ses grandes envolées, nous balance à la figure un récit profondément calibré et fermé, représentation d’un Hollywood vieillot qu’on espérait disparu.
Tout commence, et tout va mal, dès la scène introductive. Un bouchon sur une autoroute en plein soleil pousse les conducteurs agacés à s’exprimer soudainement, dans un élan musical mouvementé où la caméra domine ce qu’elle filme. Si Chazelle a la volonté ici de mettre chacun au centre de l’image, chaque type de danse, il les enferme surtout dans un cadre où ils ne peuvent s’exprimer que quelques secondes avant de tous retourner à l’anonymat dans leur voiture. Parce qu’il faut laisser la place au duo star, mais qu’il faut aussi justifier la dimension musicale du film avec cette scène pleine d’esbroufe. Ce qu’exprime pourtant l’image à travers cette scène, le réalisateur n’en veut pas tant il essaiera de la contrebalancer durant le reste du film. Sebastian (Ryan Gosling), pianiste de jazz passionné, expliquera à Mia (Emma Stone) que le jazz est une affaire de conflit, et que chacun y a sa place, que chaque musicien peut s’y exprimer malgré la figure du groupe. Pour autant jamais le film n’exprimera clairement cet état de fait, ou bien il ira, de manière incompréhensible, dans le sens inverse. Suivant le fil directeur de Whiplash, Chazelle condamne ses personnages. Ils parviendront à accomplir leur rêve, mais au prix de leur plaisir. Et c’est peut-être ce qui définit le mieux le film, à savoir que le réalisateur réalise un rêve de gosse (Chazelle a ce projet en tête depuis longtemps) mais ne semble pas y prendre le moindre plaisir. Le sentiment est tel qu’il semble lui-même s’en rendre compte.
Constamment le film opère un va-et-vient entre ce qu’il voudrait être (le revival d’un genre presque disparu) et la réalisation que tout cela est impossible, qu’aujourd’hui, Hollywood ne permettra jamais qu’un tel style revienne au centre de la production. A moins que lui-même n’accepte de s’adapter, comme John Legend aime le dire au milieu du film, pour s’ouvrir à un public plus moderne. Le point de départ de tout ça est alors de briser le quatrième mur, à n’importe quel prix, du générique d’ouverture 1,33:1 qui s’étire (comme si le film réalisait lui-même qu’il sort en 2017) pour devenir “Cinemascope”, aux paroles des chansons, jusque dans l’esthétique vintage qui sans cesse se présente comme un discours référentiel (Minnelli est ouvertement cité en fin de métrage). Outre la lourdeur du procédé (dont Chazelle semble perdre le contrôle), c’est l’idée qu’Hollywood semble constamment se trouver au-dessus de notre épaule qui est gênante. Le réalisateur est là pour rendre hommage, et il ne réalisera son rêve que s’il accepte les compromis. C’est ce qui offre ses plus grandes erreurs de parcours au long-métrage, qui s’étire inlassablement à travers des scènes clichés faussement mises au goût du jour, de la sonnerie de téléphone qui stoppe la danse, à la pellicule de La fureur de vivre qui s’enflamme bêtement (vous saisissez le message ?) quand le couple s’apprête à s’embrasser. Quand Chazelle n’arrivera plus à faire autrement, il se bornera à combler le rythme à travers des plans séquences musicaux qui finissent, platement, sur des feux d’artifices.
La béatitude du film, et ses errances scénaristiques ne sont pourtant pas, au premier abord, des défauts. Si le film est profondément maladroit et même parfois ridicule dans son final, on ne peut pas dire que Chazelle n’aura pas au moins essayé. Il aura tenté de mettre en scène un couple qui ne s’accommode pas (Stone et Gosling ne sont pas Cyd Charisse et Fred Astaire), tenté de faire revivre un genre qui, de toute évidence, ne peut plus plaire à moins qu’il joue la carte du “c’était mieux avant”. Damien Chazelle est un peu comme Sebastian au final, un très bon technicien, mais qui sacrifie tout pour réaliser son rêve, malgré tout. On espère simplement qu’il réalisera un film plutôt qu’un mirage, la prochaine fois.