Les détracteurs du genre auront tôt fait d'agglomérer toutes les comédies musicales du septième art, nonobstant leur grande diversité, en un magma indifférenciable de sentimentalisme neuneu et de partitions naïves. Ce n'est pas La La Land qui leur donnera complètement tort, puisque de toutes les comédies musicales légendaires de l'histoire, Damien Chazelle a choisi de rendre hommage à celles de l'âge d'or Hollywoodien. Jackpot ! Ce sont non seulement les plus ancrées dans l'imaginaire collectif mais aussi les plus mal connues du répertoire (allez donc demander autour de vous qui a vraiment vu les films de Vincente Minnelli), et le réalisateur s'assure ainsi, par le truchement du fantasme et de la réalité, de faire vibrer la corde sensible des amateurs ; à ce petit jeu peu importe que son film ne soit, finalement, que l'ombre de ceux qu'il imite.


C'est que la comédie musicale insérée au chausse-pied dans La La Land est particulièrement minimale : une poignée de jolies chansons, certaines répétées plusieurs fois, et autant d'instrus jouées ad nauseam. Passé un démarrage en trombe particulièrement enthousiasmant, force est de constater que la musique, quoi que figurativement centrale, n'occupe finalement qu'une infime partie des deux très longues heures auxquelles Damien Chazelle convie les spectateurs. En marge s'ébroue un drame sentimental léger, qui, une fois débarrassé de son vernis vintage et vaguement dansant, n'aurait pas dépareillé à Sundance, entre deux comédies lo-fi sur les désillusions de la vie.


Cette synthèse étrange entre l'expressivité typique de la comédie musicale et la posture taciturne du cinéma indépendant américain n'est pas complètement sans charme : lorsque, à la fin de son film, Damien Chazelle trouve enfin le rythme et offre à ses personnages un air de musique comme échappatoire à leurs déceptions intimes, La La Land parvient même à toucher particulièrement juste, et éclaircit de plus la bienveillance d'un metteur en scène taxé un peu hâtivement de cruauté après un premier film violent mais éclatant, Whiplash.


Mais que le début de La La Land soit si énergique et sa conclusion si touchante ne sauve pas son ventre mou de l'indifférence. Très sûr de ses effets, Damien Chazelle échoue à concilier l'extrême mobilité du genre avec l'inertie de son scénario, dont il fait même une posture en égrenant inutilement les saisons d'une ville à la météo toujours identique. Et tandis que l'ennui s'installe doucement, les maladresses inexplicables du film, qui a tout de même coûté près de 30 millions de dollars (soit à peu près autant que Le Transperceneige), entre post-synchronisation ratée, plan-séquences bricolés et éclairages au néon datés, minent l'hommage de Chazelle à un genre sans pitié avec les approximations techniques, et dont le chef d'œuvre absolu, Chantons sous la pluie, reste un sommet d'ingéniosité visuelle et de beauté poétique derrière lequel La La Land se traîne lamentablement.


Tous les instants de grâce de La La Land tombent ainsi à plat, à la fois parce que la mise en scène, très illustrative, peine à les mettre en valeur, et parce que chacune des références du film, pré voire complètement digérée (la scène de lévitation à l'observatoire par exemple, clin d'œil à Tout le monde dit I love you, qui est déjà une référence à Love is Here to Stay), insiste un peu plus lourdement à chaque fois sur l'artificialité du procédé. Le medley final, sorte de version lessivée des magnifiques séquences de ballet de Chantons sous la pluie et Un Américain à Paris, montre bien à quel point plutôt que d'être célébrée, la comédie musicale est ici réduite au rôle de simple béquille d'un film plus petit, dans lequel Emma Stone et Ryan Gosling, pas forcément bons danseurs et encore moins bons chanteurs, sont par ailleurs nettement plus à l'aise.


Petit drame sentimental maquillé en grand film de l'âge d'or Hollywoodien, La La Land a au moins le mérite d'ouvrir la voie à une nouvelle génération de metteurs en scène. À tout juste trente ans, Damien Chazelle signe un film malade, mais un film osé, qui, s'il perpétue le jazz de son premier long-métrage (pour lequel il faut malheureusement se fader John Legend), prend le risque de s'éloigner de ses acquis. Et c'est, étonnamment, face à une conclusion douce-amère, au récent Café Society que l'on pense - même chronique amoureuse désespérée déguisée en cinéma d'antiquaire. Un conseil pour la suite : les recettes les plus simples sont souvent les meilleures.

ClémentRL
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le 30 janv. 2017

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