Critique publiée sur Eklecty-City.fr
« Impossible de ne pas adorer ce film ! » Cette catch-line, tirée de la critique du parisien et qui orne désormais certaines affiches du film est sans appel. Si vous n'êtes pas tombé en émoi devant La La Land, vous êtes une bête de foire. Un monstre sans cœur incapable de s'émouvoir devant la plus belle comédie musicale de la décennie. Alors, à la rédaction d'Eklecty-city, tous n'ont pas adoré. Si le film a beaucoup plu, il reste un petit groupe d’irréductibles qui n'ont pas été pleinement conquis par le long métrage de Damien Chazelle.
« Attention, quelques spoilers présents »
Il faut le reconnaître, réaliser une comédie musicale a tout du numéro de funambule. Ces dernières sont loin d'être plébiscitées par le public. On les voit comme des espèces de numéros de bal désuets et datés. Un poil ridicules et assez malaisantes si les acteurs ne sont pas au top de la performance. Le grand Tim Burton s'y était cassé les dents en 2007 avec la sortie de Sweeney Todd. Le film avait écopé d'une réception assez mitigée. En 2012 c'était Tom Hooper qui accusait le coup. Sa version grandiloquente et flamboyante des Misérables n'avait pas convaincu. Pourtant, ce derniers osait toutes les prises de risques et embrassait largement le genre. Déjouant les conventions cinématographiques, les Misérables s'affranchissait de tout dialogue, laissant ses acteurs s'exprimer lors de numéros de chant interminables. Une coquetterie à laquelle le public n'avait pas adhéré du tout.
Hors. quand Tom Hooper se trompe, Damien Chazelle, lui, parvient à fédérer. Si l'on scrute les avis sur le web, un dénominateur commun revient souvent : « J'ai adoré La La Land, et pourtant je n'aime pas les comédies musicales. » Quelle-est donc cette sorcellerie ? Par quel miracle Chazelle est-il parvenu à ce tour de force ? Quel ingrédient secret a t-il ajouté pour en arriver là ? Sans doute parce que La La Land n'est pas une comédie musicale.
Si le film convoque bien volontiers Jacques Demy ou Gene Kelly, La La Land ne rend hommage à ses aînés qu'en surface. Bien que multipliant les clins d’œil et les références, reprenant à son compte l’esthétisme carton pâte et coloré de l'époque, force est de constater que le film trace son petit bonhomme de chemin pour revenir à des carcans bien plus consensuels.
Finalement, à bien y regarder, La La Land se montre relativement avare en véritables numéros de danse et de chant. Seule l'ouverture du film assumera sans commune mesure son statut de comédie musicale et proposera un spectacle à la hauteur de ses prédécesseurs. Le reste naviguera entre timides pas de danse en binôme et chansonnette fredonnée en demi-teinte. On s'étonnera d'ailleurs de ce choix de casting assez étrange qui consiste à sélectionner des acteurs dont les performances vocales et corporelles sont limitées. En bref, ne vous attendez pas à la maestria d'un Gene Kelly ou aux chorégraphies de West Side Story ; La La Land évite soigneusement la comparaison pour se battre sur un autre terrain.
À la frivolité et à la légèreté de Grease ou des Demoiselles de Rochefort, à la tragédie de Moulin Rouge ou de West Side Strory, Damien Chazelle préfère faire de son film une histoire en demi-teinte. Jamais blanche, jamais noire. Constamment dans un gris, prise entre deux feux. La séquence de fin - celle fantasmée par le personnage de Sebastian – nous montrera d'ailleurs à quoi aurait pu ressembler le film si les codes de l'époque avaient été respectés. Mais non, La La Land ne sera pas de ces films qui nous font rêver, mais plutôt de ceux qui nous expliquent que la réalité est tout autre. Il ne sera pas non plus de ces drames shakespeariens ou les protagonistes font fi des conventions sociales pour s'émanciper. Il n'y a pas de happy end dans La La Land. Pas de bouleversement, pas de grande prise de conscience flamboyante. Seulement la dure réalité d'une jolie histoire qui s'embourbe progressivement, sans tambour ni trompette.
On pourrait voir dans tout cela une force. Une expérimentation permettant au film d'être profondément universel. Hors ce n'est pas le cas. Parce qu'en mélangeant ainsi esthétisme d'époque et propos contemporain, Damien Chazelle fait de son film quelque chose de passéiste. Une glorification complaisante d'un passé révolu. Paradoxal quand on sait que le réalisateur a voulu livrer une réflexion sur la nostalgie. Au final, ce dernier accouchera d'une œuvre bêtement nostalgique. À l'image du personnage de Sebastian – en fait le film tourne autour de lui, Mia n'est que son faire-valoir - qui voue un culte conservateur au Jazz tout en voulant le transcender. Le réalisateur tombera dans le même piège.
Pas étonnant, dans ce contexte, que le film plaise autant. À l'heure où nos repères sociaux se font de plus en plus flous – à l'instar de la relation en demi teinte vécue par les personnages du film - ce regard porté vers le passé a tout de la madeleine rassurante et chaleureuse. Malgré ça, La La Land est définitivement trompeur puisqu'il n'est qu'une photocopie – les multiples références le prouvent - de succès d’antan qui se refuse à en accepter la saveur. Comme le bar de Sebastian, La La Land ne sera qu'une vitrine. Une idée du passé. Trop respectueux ou pas assez audacieux pour transcender le genre. Damien Chazelle reproduit méticuleusement le flacon sans jamais en apporter l'ivresse.
Alors ne nous y trompons pas : La La Land est un film très sympathique. Il serait idiot de le nier, Damien Chazelle a emballé une très jolie rom-com touchante et sincère. Saluons également le travail de Linus Sandgren – American Bluff, Joy – comme chef opérateur, tant le travail sur les couleurs, les lumières et le grain est remarquable. Malgré tout, jamais à la hauteur de son buzz, La La Land est malheureusement assez surfait et sent beaucoup trop la naphtaline pour marquer durablement les esprits. En l'état, c'est un exercice de style un poil anecdotique, mais divertissant.
Reste que Damien Chazelle a réussi son pari. Faire une comédie musicale. Pour les gens qui n'aiment pas les comédies musicales.