https://www.youtube.com/watch?v=fcOuBggle4Y
Dans la période où sortaient des minis scandales sur François Fion, Reny Braumann rendit hommage au défunt Tzvetan Todorov, en rapportant ses paroles : « Tous les donneurs de leçons sont des tartuffes ». En tant que démissionnaire de Médecins Sans Frontières, on peut se demander si ce n'est pas lui qui a tenu ce discours à Todorov...
Le documentaire que j'aborde ici ménage ses effets pour ceux d'entre nous qui n'en connaissent pas la teneur précise : il s'autopromeut comme traitant d'un sujet révolutionnaire dans le domaine de la linguistique. Il s'avère plutôt qu'il va traiter de la manière dont un ancien missionnaire, devenu chercheur en linguistique après avoir vécu des décennies au milieu d'une tribu amazonienne coupée de la civilisation, a abandonné sa foi et s'est fait ostraciser par une partie de la communauté scientifique internationale.
On découvre une culture qui connaît « toutes » les espèces de son milieu (et il y en a), et sait les utiliser ; qui emploie un langage sifflé pour communiquer à distance dans un milieu où la voix ne porte pas ; et qui ne connaît pas les mathématiques. L'ex-missionnaire, l'un des rares « blancs » à maîtriser la langue, nous apprend que seules des différences de tonalité réparties sur les phonèmes (ou simplement voyelles) qui les composent, différencient certains mots qui pour un français par exemple, seraient (dans l'exemple donné) les cinq même. Et en plus de ça, ils ont une équivalence sifflée? Ça semble dur à croire. Et puis on nous apprend que ce peuple utilise des phrases fixes, c.à.d. des suites de mots dont l'enchaînement est toujours le même (je simplifie, c'est ce que j'ai conclu, en mettant à part les néologismes pseudo-scientifiques comme le « concept » de « récurrence »). Soudain, ça devient plus vraisemblable : on peut alors comprendre que ces phrases-modèles aient des équivalents sous la forme de mélodies précises qu'ils siffleront (ils ne sont pas les seuls à communiquer à distance par sifflements, ils auraient pu essayer de comparer).
Jusque là rien de choquant : voilà des gens qui vivent dans un monde culturellement clos, dans un milieu qui ne leur impose pas de créer les formes du futur et du passé dans leur langue – un nombre limité de situations types auxquelles correspondront des phrases stéréotypées, c'est envisageable. Je vis dans une société ouverte pourtant j'entends les gens répéter des propos qui ressemblent à des slogans et dans lesquels ils enferment leur pensée; et puis le français est dans l'ensemble une langue très figée dans laquelle un nombre certes d'apparence illimité de règles même informulées, gouvernent la suite de mots qui nous sont autorisées (en gros même si elles sont très nombreuses, un nombre de phrases limitées, encore plus que de formes grammaticales, nous sont imposées dans la plupart des domaines – et ne parlons pas des cadres institutionnels!). Je me rappelle avoir été enchanté par la créativité d'une étudiante anglaise en français, qui m'avait demandé de corriger sa dissertation avant qu'elle la donne à sa prof d'université. Là où j'ai vu de l'originalité, la prof a vu de l'inadéquation, des fautes, et ensuite la nana m'a reproché de ne pas avoir corrigé ses erreurs. Les audaces poétiques c'est bon pour les morts, et la créativité est autorisée hors les murs de l'université.
Donc voilà, des gens coupés de la « civilisation » parlent de manière stéréotypée, et de la sorte sont éminemment originaux, ou du moins échappent à une doctrine linguistique qui veut que dans une phrase, tous les mots puissent être déplacés pour exprimer différentes choses. « Doctrine? », me direz-vous. N'est-ce pas un peu exagéré, et un goût pour l'ironie de ma part lors qu'il s'agit de désigner les thèses d'un groupe qui utilise son influence pour ostraciser les théories dissidentes (hérésies!) d'un apostat ?
À moins d'une extrême malhonnêteté de la part du curé défroqué et d'une complicité coupable des réalisateurs du documentaire, les faits parlent d'eux-mêmes : sa conférence dans une université brésilienne est boycottée par la section linguistique, et l'accès à la tribu lui est désormais interdit par l'agence gouvernementale qui « gère » les tribus amazoniennes, la FUNA, sous le prétexte qu'il œuvrerait comme vil propagandiste religieux. L'équipe du film peut cependant se rendre auprès de la tribu, et découvre que la préservation à l'égard des effets délétères de la culture occidentale exclut la télévision. Des maisons en dur ont été construites, un générateur installé, la télévision a enfin accès à eux. Je veux dire, ils ont enfin accès à la télévision. Voilà le monde : pas de téléchargement , mais télé obligatoire. La cultuer (heu, culture) est gratuite tant que c'est celle qu'on t'a choisi, et que tu regardes la réclame, et que tu paies pour le reste. On leur donne des médicaments contre le paludisme et des cours de mathématiques. Beaux accomplissements de la lutte contre l'ignorance et la maladie. Les missionnaires avaient uniquement réussi à les habiller, le gouvernement va enfin réussir à les détr...Assimiler. Comme les inuits qu'on a déportés et qui sont devenus des ombres vivantes, malades, drogués, sans but, par exemple. Enfin ça c'est mon mauvais esprit, on va pas se permettre de généraliser, hein, l'acculturation ça a parfois du bon! Ne nous lançons pas dans un débat sur les bienfaits du colonialisme.
Mais le film a quand même réussi à me choquer : l'agence supposée protéger les « indiens » travaille en réalité à les « intégrer » au modèle consumériste, et utilise un discours de protection contre l'embrigadement religieux, pour opérer un endoctrinement idéologique – ou vice-versa ! Des pouvoirs institutionnels qui accomplissent exactement le contraire de leur tâche et raison d'être officielle ? Même dans le bouquin écrit par le pote journaliste français de Raoni, j'avais pas lu ça.
La fois où j'ai entendu Werner Herzog dire qu'il regrettait plus la disparition des langues que celle des espèces, j'ai trouvé la hiérarchisation déplacée. Apparemment, le gentil gauchiste Noam Chomsky ne se pose même pas la question, et se moque de savoir que ses préférences théoriques, ayant pignon sur rue en certaines parts du monde (c'est du moins ce qu'avance le documentaire, tout en ajoutant que ses vues – que je considère pour ma part comme extrêmistes – n'ont pas le monopole – la plasticité du cerveau, c'est permis?), justifient les politiques de destruction des derniers bastions de résistance contre l'uniformisation culturelle mondiale.
À reprendre au début.
ADDENDUM
C'est une technique éculée chez les marchands de soupe, de prétendre fonder leur doctrine sur des bases « scientifiques », entendez les sciences dites dures, dont ils peuvent emprunter le jargon pour mettre de la poudre aux yeux, et faire taire par argument d'autorité, les néophytes (cf Rael, les réclames pour les produits de beauté – heu, « cosmétiques »). Cette pratique présente des limites : il faut se soustraire au débat (et ceux qui le refusent ont toujours tort) et ostraciser, même harceler ceux qui osent avancer des thèses opposées, devenir dissidents, ou dénoncer leurs mensonges (cf la stratégie des psychanalystes envers Michel Onfray).
Lorsqu'on prend comme Chomsky le parti radical d'une influence extensive de la biologie sur le langage, on a intérêt à appuyer ses thèses sur des bases expérimentales. Ou bien admettre qu'on fait de la s.f. Sinon, on devient un chef de secte, un Rael, un Ron Hubbard.