Le syndrome Tirésias
Quel personnage étrange que ce Zatoichi ! D'emblée, le générique nous le montre en position de faiblesse : aveugle déambulant dans la campagne nippone, obligé de se mettre à quatre pattes pour...
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le 16 mars 2016
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Quel personnage étrange que ce Zatoichi ! D'emblée, le générique nous le montre en position de faiblesse : aveugle déambulant dans la campagne nippone, obligé de se mettre à quatre pattes pour traverser en sécurité un petit pont, etc. Et c'est en tant qu'handicapé qu'il est reçu chez le parrain yakuza Sukegoro de Iioka : un boulet inutile dont on se moque.
Mais les deux scènes qui suivent directement le générique vont nous montrer un autre aspect de Zatoichi. D'abord, il va remettre à leur place ces petits malfrats qui pensaient pouvoir abuser un aveugle, et il va justement les piéger par une illusion d'optique (renversement ironique de situation : c'est précisément le fait de voir qui va piéger les yakuzas) ; puis, lorsqu'il sera introduit auprès du parrain, on aura droit à tout un discours pour nous dire que cet insignifiant aveugle est un combattant de premier ordre, et qu'il est redoutable lorsqu'il a un sabre à la main.
Voilà donc le personnage bien campé, et Zatoichi continuera constamment de jouer sur cette ambivalence : il joue l'innocence et la candeur, il fait semblant d'apparaître par le plus grand des hasards, mais en fait il est constamment à l'affut, à l'écoute de tout ce qui se déroule autour de lui. Il a l'air de ne rien savoir, mais rien ne lui échappe.
Pire : il y va toujours de son petit sourire sarcastique ou de sa petite remarque ironique. Il aime se moquer des autres, qui sont finalement bien plus handicapés que lui. Il y a là quelque chose de quasiment mythologique chez ce personnage que son aveuglement permet de mieux voir (on pourrait parler d'un syndrome Tirésias ?).
Ce premier film de la série se divise clairement en deux parties. La première est calme et tranquille, mais sans qu'on s'en rende compte elle met tout en place pour la suite. On nous présente toute une galerie de personnages, ainsi qu'une situation complexe.
L'un des points forts du film, c'est que les personnages secondaires ne sont pas délaissés. Nous avons devant nous de vrais personnages, qu'il s'agisse du yakuza Tatekichi, de sa sœur Otane ou, bien entendu, du rônin Hirate.
Les scènes qui unissent Hirate et Zatoichi sont parmi les plus intéressantes du film. Il y a manifestement un jeu de miroir entre les deux personnages, tous deux maîtrisant leur art du sabre, mais tout deux apparemment affaiblis, l'un par la cécité, l'autre par la tuberculose. Tous les deux sont obligés de travailler pour un clan yakuza (il faut bien manger, n'est-ce pas ?) mais ils cherchent aussi à garder leur indépendance, ce qui crée des tensions avec leurs parrains respectifs.
D'autant plus que les deux clans en question sont tout prêts à se faire la guerre. Et c'est là que l'on amorce petit à petit la seconde partie du film. Une partie plus mouvementée, mais aussi nettement plus sombre et brutale. Autant le début du film réservait quelques scènes bucoliques tout en beauté et en sérénité, autant la suite est violente. Ici sont dénoncées la lâcheté et la sauvagerie des hommes, avec des images qui ne cachent rien de leur brutalité. Que ce soit une tentative de viol ou une guerre, nous assistons ici à de la violence à l'état pur, quasiment insupportable.
A ce titre, il faut saluer la mise en scène du film. Misumi fait un travail remarquable, aussi bien par le cadrage que par l'exploitation intelligente de ses décors. Le combat final, au milieu des habitations, avec des civils qui sont, comme dans toutes les guerres, les victimes collatérales des belligérants, est de toute beauté. Mais c'est une beauté terrible.
Il y a aussi un aspect de tragédie dans ce qui arrive aux deux rônins. comme dans une tragédie classique, nous avons ici deux personnages qui ont un destin tout tracé, et quoi qu'ils fassent pour en sortir, pour échapper à la Fatalité, elle les rattrape. Zatoichi et Hirate, condamnés à s'affronter dans cette ignoble guerre des clans, auront beau tout faire pour esquiver leur destin, ce sera en vain. Voilà une façon bien intelligente de jouer avec les règles du genre : là où, normalement, le duel final, tant attendu, oppose deux adversaires pour rétablir l'ordre et la justice, ici, ce duel est la preuve de la pourriture d'un monde dirigé par les pulsions de mort et l'ambition démesurée du pouvoir. Un duel que l'on ne veut pas voir arriver, parce que les deux antagonistes sont sympathiques aux yeux du spectateur.
[8,5]
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le 16 mars 2016
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