Le générique annonce un épisode culte, dès l’apparition à l’écran des deux lettres « DN » de la Dainichi Eihai, une joint venture éphémère qui distribua des productions communes de la Daiei et de la Nikkatsu. Le spectateur, même féru de cinéma nippon, ne verra malheurseument pas souvent cet écran de générique (deux épisodes de Zatoichi malgré tout). Ensuite, comme s’il fallait répondre à l’ambitieux épisode précédent qui avait mis Mifune à l’honneur, ici Kenji Misumi qui signe son sixième et dernier épisode nous gratifie d’un antihéros tragique interprété par l’immense et ténébreux Tatsuya Nakadai.
Zatoichi trouve dans cet épisode un adversaire coriace : un parrain très puissant qui pourra se permettre de lancer une armée de sicaires à ses trousses, mais surtout qui partage avec Zatoichi un point commun, la cécité, particularité qui l’aide à mieux saisir les vulnérabilités de notre masseur, à commencer par l’amour. L’amour, cet épisode n’en manque pas, et sous toutes ses formes. En guise d’introduction nous avons un homme fortuné qui se débarrasse dans une vente aux enchères de la maîtresse dont il est las après deux ans de relation. Il compte bien la remplacer par une plus jeune, plus belle, et plus vicieuse – la séquence de la vente est assez grivoise. Que dire également de ce couple de tenanciers qui se chamaille et se dispute ? Il y aussi cette relation étrange avec un jeune homme androgyne à la sexualité ambigüe. Pour finir, Zatoichi tombe dans le piège de la séduction de l’assassine mise sur sa piste – un amour qui deviendra réciproque par un étrange coup du sort.
Les deux hommes, Zatoichi et le parrain aveugle, au-delà de la caractéristique physique qu’ils partagent, sont en parfaite opposition l’un et l’autre : Zatoichi incarne la droiture, la lumière et l’amour. Le parrain incarne la corruption, l’ombre – il n’apparaît de mémoire que dans des scènes nocturnes ou à l’ombre d’un palanquin – et la haine. Lorsque son bras droit, au moment de lui succéder, proclame qu’il incarnera la droiture et l’esprit chevaleresque (« tadashii ninkyo ») il signe par ces mots son arrêt de mort. On pourrait résumer le fossé qui sépare les deux hommes par la phrase suivante, lancée par Zatoichi au parrain et à ses sbires :
Nous, les yakuzas, sommes des hors-la-loi. Nous devons marcher sur le coté mais au lieu de ça, vous trônez dans des palanquins et paradez au milieu de la route, cherchant à écraser les faibles.
Il n'en faut pas plus pour que Zatoichi se fasse un ennemi mortel. Du côté de la réalisation, malgré quelques coupes elliptiques, les plans sont parfaitement maîtrisés et rythmés. Les combats de sabre sont spectaculaires et évoquent la série des Baby Cart par certaines outrances, notamment lorsque le décor ou les arbres sont tranchés nets au milieu des corps qui tombent dans une parfaite synchronisation. Le final sur le pont, ou l’embuscade dans une forêt brumeuse au-dessus de la tombe de la jeune fille ont un côté onirique et font partie de ces scènes marquantes.
Mais l’aspect qui m’a le plus fasciné ici est le travail sur la musique et le son, avec ces très nombreuses séquences entrecoupées de silence où l’on se trouve, à l'instar de Zatoichi, à l’affût du moindre bruit. C'est très habile. Et cette musique entraînante qui revient à chaque temps fort...
Un des cinq meilleurs épisodes.