Petite précision, j'écris cette critique sans avoir lu le livre de Stephen King, même si j'ai une bonne moitié de sa biblio dans mes étagères.


Quand on connaît un peu le travail de King et qu'on regarde une de ses adaptations, on a généralement deux idées reçues : on va avoir peur et ça va probablement être un film moyen et/ou une adaptation loupée, vu la malédiction que se traînent un peu trop souvent ces projets, qui même lorsqu'ils sont bons trahissent le matériau d'origine ( Quand l'auteur fait les gros yeux à Kubrick, je pense que le mot "trahison" n'est pas trop fort, peu importe tout le bien qu'on pense de "Shining".). Donc, la ligne verte fait un peu figure d'outsider : on n'a pas peur, on pleure pas mal et c'est un grand film.


Mais pas sans défauts.



Ici, on parle...



Paul Edgecombe, 108 ans, ne cesse de faire le même cauchemar, dans lequel il entend une voix fantomatique répéter la même phrase depuis plus de soixante ans. Il finit par raconter à une autre pensionnaire de la maison de retraite sa rencontre avec John Cafey dans "la ligne verte", le couloir de la Mort dans l'état de Louisiane, où il a exercé en gardien chef...


Ce qui frappe dans cette "ligne verte", c'est l'efficacité du casting. Tom Hanks est parfait dans le rôle d'Edgecombe, dosant parfaitement l'humanisme dont il veut faire preuve envers les détenus et la fermeté nécessaire à son poste. Il se dégage du personnage une alchimie assez bluffante entre tension permanente et sérénité vitale à la situation. Face à lui, Michael Clarke Duncan, saisissant, crève l'écran par sa présence, sa stature. Il joue surtout de ce regard constamment mélancolique et semble sans cesse au bord des larmes, en totale contradiction avec sa monstrueuse apparence, un contraste qui rend ce personnage silencieux - et pourtant terriblement parlant par ses regards - très efficace face à un Edgecombe axant tout le contact humain sur la parole.


Les seconds rôles ne sont pas en reste : Brutus "Brutal", le bras droit d'Edgecombe, tout en bonhommie teintée de force tranquille, le directeur Moores, présence effacée, usée par ce qu'il vit (une femme mourante), chaque personnage prend sa place sans en déborder, sans phagocyter l'autre, un équilibre parfaitement maîtrisé, porté par une histoire qui sait leur laisser la marge nécessaire (c'est rarement un problème chez Stephen King.)


Côté "méchants", Doug Hutchison- le gardien Percy - est absolument parfait en fétide salopard lâche et sadique, petit chefaillon à qui on place entre les mains la vie de détenus et qui apparaît finalement comme aussi méprisable qu'eux (on méprise ce que l'on est, au fond). Le personnage n'est pas juste pénible, voire comique, il est réellement malfaisant et comme tout bon méchant de King, on ne peut s'empêcher d'attendre avec impatience l'instant ou sa propre cruauté lui reviendra en pleine gueule (ce qui fait de nous... des sadiques. Ironie.).


Et il y a William "Billy the Kid" Wharton, le détenu dangereux (le film place ainsi un salopard des deux côtés de la ligne)... là, c'est le premier bémol. Comme je le disais je n'ai pas lu le livre mais je suis presque certain que King n'y décrit pas le bouffon insupportable du film, jamais inquiétant, jamais dangereux. Dans un autre contexte, Wharton pourrait être un sidekick rigolo, c'est dire... on est plus proche d'un Sammy de Scooby-doo (bon, à la sauce Stephen King, quand même) que d'un Ted Bundy. Et quand on sait ce que le personnage a fait, c'est d'autant plus problématique.


Redisons-le une bonne fois pour toute, merde : les tueurs en série violeurs de gosse ne portent pas sur leur visage "j'aime tuer et violer". C'est un cliché et dans un film aux relents de polar voulant mettre en scène la violence de l'humain, c'est difficile à avaler.


Bref, pour moi ce personnage est un loupé du film, réduit à un ressort comique, jamais à une menace, fort heureusement déjà bien assez campée par Percy et celle de la mort imminente, symbolisée par la chaise électrique. Les autres personnages secondaires sont quant à eux parfaitement interprétés (une petite préférence pour l'avocat de Cafey, merveilleux de racisme cynique et aussi l'un des rares personnages un peu en demi-teinte).



Lumières !



Ce qui frappe - bis - c'est le soin apporté à la réalisation et à la photographie. Frank Darabont aurait pu se contenter d'une mise en scène simple et se reposer entièrement sur son casting d'exception mais il y a un réel souci d'esthétique et de mise en ambiance au travers du montage et des cadrages, jamais hasardeux ou paresseux (usage de fondu enchaînés, mouvement de caméra suivant la dynamique de narration, impression générale de pesanteur lors des séquences de tension, comme si la caméra écrasait les personnages, usage de la perspective lors des conversations avec Cafey pour utiliser sa taille comme un second langage, etc...). La photographie, très belle, comporte une légère touche sépia sans être kitsch et un jeu sur les lumières de toute beauté (quelques très beaux paysages en début de film, également, pour mieux nous faire ressentir l'enfermement une fois entrés dans la ligne verte).


Frank Darabont et son équipe ont fait un travail remarquable qui permet quelques scènes de silence où l'image, les regards, la musique parlent mieux que les mots, évitant au film de tomber dans le bavard grandiloquent et laissant une part égale entre ce qu'on entend et ce qu'on voit, ce qui rend le film particulièrement fluide et efficace dans son rythme. Malgré ses trois heures, on n'a jamais d'impression de longueurs, ni de précipitation dans les séquences de tension.


Ces séquences de tension , parlons-en. Outre les comportements chaotiques de Percy qui donnent une sorte de crescendo dans le drame, le film comporte deux scènes d'exécution sur la chaise - dont une particulièrement horrible. Si Darabont ne s'esquive pas dans ces séquences et nous jette la mort - sous une forme barbare, inhumaine - en pleine figure, il n'est jamais voyeuriste ou racoleur. Les deux séquences sont deux coups de poing, assénés net, proprement, sans fioritures mais sans hésitation. On en sort sonné, ni trop, ni trop peu.


Mais ces scènes me posent problème pour une autre raison : le message sous-jacent du film.


Et là on entre dans la partie beaucoup moins agréable, celle où le film m'a fait grincer des dents.



Le cul entre deux chaises... électriques



Il semble assez évident que le film, est , outre un très beau drame sur la violence humaine et la valeur d'une vie, un pamphlet contre la peine de mort. Étant donné la sensibilité du sujet, impossible que "la ligne verte" ne délivre aucune opinion, qui est on ne peut plus claire au travers des deux scènes d'exécution, admirables dans l'horreur.


Ce qui me gêne beaucoup plus, c'est l'inversion des rôles.


Que le film veuille montrer les condamnés - Delacroix et Butterbuck - sous un visage plus humain, c'est normal, c'est son but et il s'y emploie très bien, rappelant qu'il y a souvent encore des étincelles de lumière même dans l'humain le plus sombre. Il pointe également du doigt le voyeurisme de ces bons citoyens américains venus assister à la mise à mort, souhaitant voir le condamné souffrir, "mourir deux fois".


Sauf que.


Sauf que Delacroix et Butterbuck ne sont jamais montrés sous un jour noir. Le film ne parle jamais de ce qu'ils ont fait pour se retrouver dans la ligne verte et vu les réactions du public il y a clairement des victimes de ces hommes parmi ce public. Quoi de plus humain, alors, même si cela reste méprisable, de voir ce public hurler vengeance ? Pourquoi réduire ceux qui ont été les premières victimes de cette violence que dénonce le film à des coupables ? Sans demi-teinte ? Sans subtilité ? La peine de mort est une sorte de retour de violence et on peut certainement la condamner sans se prendre les pieds dans le discours un peu facile de l'angélisme. Delacroix et Butterbuck ont tué et sont donc tués. Qu'on condamne cette logique en omettant la première partie me semble malhonnête et qu'on culpabilise les victimes très limite. Je me doute que c'est davantage de la maladresse - le film est très manichéen, c'est un autre de ses défauts - que de réelle prise de position mais après avoir si bien réussi une partie du message, voire l'autre occulté m'a mis mal à l'aise. D'autant que l'argument souvent présenté par les partisans de la peine de mort, c'est le mépris pour la souffrance des victimes, l'oblitérer dans son contre-argumentaire, c'est se tirer une balle dans le pied.


Et mon autre problème... hé bien c'est que le message se contredit. Et là je me vois obligé de spoiler la fin.


À la fin du film, Cafey "punit" - selon ses propres mots - Percy et Wharton en manipulant grâce à ses pouvoirs le premier pour abattre le second, les "tuant", l'un psychologiquement l'autre physiquement. Et cette scène, dans son ambiance, offre un sentiment de justice, d'accomplissement.


Après nous avoir martelé que la mise à mort - même de salopards avérés - est une abomination, je trouve ça carrément raide de nous délivrer le message contraire, de la main du "faiseur de miracles" du film, comme une volonté divine, un "faites ce que je dis, pas ce que je fais" franchement gonflé. Quand on dit "je suis contre la peine de mort, sauf pour les tueurs d'enfant", navré, on est pas contre, mais pour. Avec des critères différents que ce public qu'on juge mais on est pour. Et c'est pas très courageux de ne pas l'admettre en se réfugiant derrière le personnage le plus positif du film. Je ne juge pas le message ici - Stephen King est encore libre de penser ce qu'il veut et tant mieux si Darabont partage son avis - mais à un moment donné, il faut l'assumer. Cela réduit presque - presque parce que mon analyse reste personnelle - les deux scènes "coup de poing" à de la démagogie. On pourrait y voir une volonté de ne pas délivrer un message tout noir ou tout blanc sur le sujet mais le film est totalement noir et blanc dans ses personnages - des gentils totalement gentils, des méchants totalement irrécupérables - donc difficile de considérer le message comme en demie-teinte.


Autre aspect assez lourd du film, le sous-texte biblique. Pas le fait qu'il soit présent, non, on peut faire dans le biblique sans être prosélyte ou moralisateur, ce que le film réussit par ailleurs - mais qu'on se sente obligé de nous l'appuyer avec insistance lors de certaines scènes. OUI, on a compris, John Cafey est un christ ressuscité, même un athée comme moi l'a pigé assez vite, inutile d'en faire des tonnes. Cela explique le manichéisme parfois pas très adroit des personnages et ça ne me pose pas de problème, tant que ce sous-texte reste... hé bien en-dessous. Deux trois scènes sont assez pesantes à force de trop vouloir en faire (la guérison miraculeuse, notamment), c'est dommage.


Alors soit, ces deux éléments sont des ressentis - comme le personnage de Wharton - mais même lors de mon premier visionnage et de ma découverte du film, ils m'ont littéralement sauté au visage. Alors ce sont peut-être des défauts inhérents à l'histoire originale, mais le film ne les atténue pas franchement.



Je suis fatigué, patron



Même si ça reste une interprétation, le problème du message pourrait être rédhibitoire pour "la ligne verte", encore plus selon les convictions du spectateur, tant le film joue sur deux sujets sensibles, la peine de mort et la religion.


Mais il se rattrape sur un dernier aspect : l'émotionnel. Et pour ça, Darabont est redoutable : le film est une espèce de grand huit constant, offrant de rares moments comiques pour reprendre son souffle dans cette très lente descente le long du couloir de la mort, dont l'issue est évidemment fatale. Le fantastique est présent par minuscules touches, presque dilué dans le drame de ce microcosme du désespoir et est en quelque sorte la seule lueur au milieu d'une histoire dont il est affiché dès le départ qu'elle ne peut que mal, très mal finir. La question est "comment". Et ce "comment", même pris dans son message mal assumé, même pris dans sa sauce biblique parfois un peu trop lourde, porté par le casting, la mise en scène, les dialogues, c'est ce qui reste à l'esprit une fois le film terminé. La fin est déchirante. Le film est déchirant. Pas parfait - et pour être un peu plus indulgent, le sujet n'est pas simple - mais magnifiquement réalisé et joué, à en nouer la gorge. J'ai eu beau grincer des dents, il m'a bien fallu admettre que j'ai chialé, comme un paquet de monde. Donc, je ne peux décemment pas dire que "la ligne verte" est un film moyen, tant il fait mouche. Un peu moins virtuose qu'un "Shining" ou un "Carrie", peut-être un peu facile à se réfugier dans l'émotion pure au détriment de la réflexion mais sans conteste l'un des meilleurs films qu'ait engendré l’œuvre de King.

SubaruKondo
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le 24 janv. 2017

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SubaruKondo

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